Seconde époque, le Château de Port-Cé, 1908-1943 :
Le docteur Raffegeau et son épouse.
Monsieur et madame Raffegeau achètent le château des Charmilles en 1908, au marquis de Montaigu. Le docteur Raffegeau connaissait déjà Saint-Nazaire et la presqu'île guérandaise, il était en effet employé durant la saison des bains de mer par madame Boju de la Monnelière, propriétaire de l'Hôtel Regina à Batz. Elle lui fit acquérir une maison sur place au moment de son mariage, le manoir de Landévénec à Batz sur Mer, une villa de 8 pièces dans le goût médiéval dotée d'un vaste jardin, face à l'océan. A la suite de la mise en vente de l'hôtel en 1908, le docteur décida d'acquérir les Charmilles alors en vente, et vendit sa maison de Batz.
Les Raffegeau firent repeindre en blanc les boiseries extérieures de la maison principale, auparavant en rouge de Balz, ils installèrent le chauffage central et créèrent de salles de bains ; au temps des Bord l'eau provenait des citernes du parc, un château d'eau fut construit par la municipalité au bord de la route de La Vecquerie, la propriété fut alors pourvue de toutes les commodités modernes et hygiénistes. Sur une carte postale de la maison publiée en 1908, on distingue à une fenêtre de l'étage le docteur Raffegeau, et son épouse à celle de la véranda. Les Raffegeau employaient environ six personnes en permanence, ce qui était peu pour une maison de cette taille à l'époque. Le mobilier était pour l'essentiel celui des Bord acquis avec la maison, un mobilier commandé par Gustave Bord après son mariage, en noyer, dans un style pseudo Louis XIII et Henri II. L'acquisition par les Raffegeau avait un but commercial, comme nous l'expliquerons plus loin.
Le château avec aux fenêtres le docteur Raffegeau, son épouse, et une partie de don personnel,
vers 1910. Coll. L.O.M.
Donatien-Vincent-Marie Raffegeau, (Saint-Germain-sur-Moine 30 avril 1855 - 16 mai 1931 Saint-Germain-sur-Moine). Sa famille vivait depuis toujours à Saint-Germains-sur-Moine, une bourgade du Maine et Loire qui compte 2700 habitants 2011, on y trouve un Georges Raffegeau né en 1564, c'est de lui dont est issu le docteur, s'étaient des artisans sabotier de père en fils depuis des générations. Son père, prénommé lui aussi Donatien, (1815-1881), n'échappa pas à cette activité et posséda une petite manufacture ; sa mère, Louise Poilâne (1815-1903) était elle aussi d'une famille depuis toujours implantée à Saint-Germain-sur-Moine. Le petit Donatien s'avéra un très bon élève, et d'une intelligence supérieure, on l'expédia au petit séminaire de Beaupréau. Jugé inapte au service militaire par le conseil de révision, il entreprit des études de médecine à la Faculté d'Angers, il rencontra le professeur Charcot et en devint le disciple, faisant deux ans d'internat à Charenton. Il se spécialisant en psychiatrie, une science médicale alors toute nouvelle, il soutient le 23 février 1884 une thèse intitulée "Du rôle des anomalies congénitales des organes génitaux dans le développement de la folie chez l'homme" (58 pages, Imprimerie A. Davy, 1884), et fut reçu docteur en médecine le 1er mai suivant. et devient chef de service à l'asile du Vinet (Yvelines) où il exerça durant trente ans, parallèlement il participa à l'étude de la transmission de la " folie " et en 1886 affirma que la " dégénérescence est la suite de l'hérédité ". Il achète en 1890 au Vésinet une propriété de 2ha, la " Villa des Doges ", où il fonde pour une clientèle fortunée une clinique psychiatrique baptisée Villa des Pages1) (établissement encore existant) où, associé au docteur Mignon, il soignait à base d'hydrothérapique, d'électrothérapie, de bains hydroélectriques sulfureux ou térébenthinisés, l'anémie, l'obésité, la morphinomanie, la dipsomanie et particulièrement la neurasthénie, mais aussi l'épilepsie. Sa clinique avait des procédés si avant-gardistes , qu'à l'exposition internationale de Bruxelles en 1897 il reçut une médaille d'argent.
Le docteur Raffegeau fut une sommité dans son activité, et en août 1900 à l'occasion d'un Congrès international de l'hypnotisme expérimental et thérapeutique, sa clinique fut l'objet d'une visite officielle d'officiels de la République et de médecins français et étrangers. Il y eut pour patients le ministre Louis Barthou (assassiné au coté du roi Alexandre Ier de Serbie à Marseille en 1934), Édouard Herriot, (maire de Lyon, député, puis sénateur), l'écrivain Paul Bourget, mais aussi Marguerite Steinheil, la célèbre " connaissance " du président Félix Faure, qui après son acquittement dans le procès qui lui fut intenté au sujet de l'assassinat de son époux et de sa mère se réfugia chez lui, à la villa Chantemerle, où il résidait au Vésinet, le 16 novembre 1909. Ce séjour causa bien des soucis à Vincent Raffegeau, plus quarante voitures de journalistes investirent le parc de sa clinique et il dut demander aux forces de l'ordre d'intervenir afin de les faire sortir de son établissement et d'arrêter de faire le siège de sa maison !
Le docteur Raffegeau passa dix années à agrandir sa clinique, achetant des parcelles supplémentaires, multipliant les pavillons, il argumentait à ce sujet " Le service en est certes plus difficile et réclame un plus nombreux personnel, mais les avantages qu'on en retire sont une large compensation. ". L'acquisition de Port-Cé s'était faite dans le but compléter sa clinique en proposant à ses clients un séjour au bord de l'océan, dans un espace calme et retiré : madame Raffegeau y faisait office d'hôtesse, assistée par des infirmières et des employés de maison(2). Les convalescents participaient à des activités de relaxation, gymnastique, et natation, le docteur avait fait construire des cabines de bain sur la plage, à l'emplacement du renfoncement dans la roche à l'Ouest, l'épicerie Grenapin fournissait alors l'alimentation, mais aussi les journaux, et des ouvrages et du matériel de couture, de crochet et de tricot. La maison du bord de plage, dite " Les Mouettes ", abritait à elle seule une dizaine de lits, elle fit l'objet d'un cambriolage, constaté le 17 janvier 1921, par Morel, le jardinier : on avait emporté les garnitures des lits (3).
Le 24 septembre 1932, une volante tempête frappa la côte, les rafales de vent déracinèrent plusieurs grands chênes dans le parc, l'un d'entre eux tomba sur l'une des annexes où logeaient au premier étage une employée, la jeune femme ne fut pas blessée, mais eut une très grande frayeur (4).
vers 1910. Coll. L.O.M.
Donatien Raffegeau fut conseiller municipal du Vésinet avant 1900, il ne fit pas de carrière politique, mais s'intéressa toujours à la vie dans les communes où il résidait. Sa commune de naissance le sollicita pour en devenir maire aux élections de mai 1908, il entra au conseil municipal le 10 mai, et fut élu maire le 17 mai avec 10 voix contre une à Jean Pasquier, qui deviendra premier adjoint et qui gérera la commune, le docteur Raffegeau ne faisant que trois ou quatre passages par an à la mairie, car résident au Vésinet, il sera cependant réélu à quatre reprises et décédera en fonction dans son village natal où il laissa un souvenir impérissable par son humanisme et sa charité, ainsi que par l'application d'une politique hygiéniste ; il y fonda un bureau de bienfaisance et la Société de tir à la préparation militaire. En 1910, il fonda un établissement de bain douche gratuit pour les enfants du Vésinet, fut bienfaiteur de la la Société Coopérative des Habitations à bon marché du Vésinet, etc. Aujourd'hui la rue principale de cette commune porte son nom. Il offrit de son vivant une statue de Jean d'Arc érigée près de l'église le 31 juillet 1914, et le 29 octobre 1930, il fit avec sa femme un don de 200000 frs à la commune pour installer une sœur infirmière pour des soins à domicile, l'instauration d'un foyer pour personnes âgées sous la direction de religieuses et le paiement des journées d'hospice aux vieillards indigents. Cet établissement créé sous le nom de fondation Raffegeau, ouvrit en 1932, il devint établissement public le 23 juin 1947, puis maison de retraite sous le nom de " Résidence des Sources ", existe toujours et conserve dans son hall les portraits du docteur et de son épouse, reproduits en annexe III. Au Vésinet, en dehors de différents dons charitables, il offrit en 1927 à la ville la statue du cerf qui orne le rond-point Royal, Il reçut la Légion d'Honneur pour son dévouement auprès des blessés de la Grande guerre, par décret du 9 septembre 1923. En effet, durant le conflit, il fut médecin-chef bénévole de l’Hôpital auxiliaire N° 30 au Vésinet, à ses frais des réfugiés, et soigna gratuitement une partie des pauvres du Vésinet. Son dossier conservé à la Chancellerie précise qu'il était en 1923 membre titulaire de la société médico-psychologique, de l’association de l’association pour l’avancement des sciences et vice-président de la Société de psychothérapie.
Il avait épousé à Paris 6, le 21 mai 1885, Cécile-Louise Carpentier, (Paris 9e 25 octobre 1864 - 9 octobre 1943 à Saint-Germain-sur-Moine), fille d'un marchand de couleurs parisien. Le docteur et madame Raffegeau n'eurent pas d'enfant, le docteur et son épouse avaient convenu en 1930 de se léguer au dernier vivant l'ensemble de leurs biens, mais hors contrat ils avaient convenu qu'à la mort du dernier d'entre eux, les biens venant de leurs familles respectives iraient à leurs plus proches parents, et que les biens acquis durant leur vie maritale seraient légués à des œuvres de charité. De ce fait, par testament olographe du 2 novembre 1932, madame Raffegeau précisa ses legs et institua son neveu par alliance, Pierre-Charles Raffegeau, exécuteur testamentaire. ce testament fut confié à son confesseur, le Père Amiot, avec le devoir pour lui de l'envoyer à maître Vachet, notaire à Cholet, à son décès.
A la suite de l'invasion allemande, Cécile Raffegeau se réfugia dans la maison natale de son époux. Elle y abrita d'autres réfugiés dont Emile Saudemont, (Santes 26 juin 1898 - 14 août 1950 - Saint-Germain-sur-Moine), un comptable venu du département du Nord, séparé de son épouse Jeanne Louise Adrienne Renelde Juste. Emile Saudemont prit l'ascendance sur madame Raffegeau et profita tant de sa générosité que de son grand âge, aidé pour cela par l'infirmière de madame Raffegeau, qui s'arrangea pour que sa fidèle servante, Marie-Rose Danilo, soit congédiée, (on ignore ce que sont devenus les Morel, la famille de jardiniers qui assurait le gardiennage des Chamilles). Emile Saudemont l'isola et obtint peu à peu la gestion de son patrimoine, prenant le titre de " gérant de culture " et de sa fortune estimée en 1944 à quarante millions de Francs, (soit 733 242 590,22 d'euros de 2012 d'après l'INSE), allant jusqu'à vendre à son profit des immeubles, et enfin obtint le 27 avril 1942 un testament l'instituant légataire universel et révoquant les testaments précédents. Madame Raffegeau mourut le 19 octobre 1943 à Saint-Germain-sur-Moine. Son décès fut déclaré par Emile Saudemont. Le dernier testament fut contesté par madame Leulier, née Renée Marie Hardy, (Paris 6e 9 août 1886 - 29 juin 1977 Le Vésinet), fille de la sœur de Cécile Raffegeau. Celle-ci décida avec Emile Saudemont un arrangement lui laissant la propriété d'une ferme et le quitus de la gestion, ce qui évita un procès. Elle se retrouva héritière universelle de sa tante, étant sa seule parente directe du fait de la donation au dernier vivant entre les époux Raffegeau en 1930. Cependant, informé du décès, le père Amiot envoya le 28 janvier 1944, au successeur de maitre Vachet, maitre Gruau, notaire à Cholet, le testament de 1932. officiellement déposé le 18 février 1944 au rang des minutes de maître Gruau, le testament de 1932 mentionne en son article VI le legs par madame Raffegeau de " tous mes immeubles de Port-Cé, sauf les " cabines " (légué à une de ses amies, décédée avant elle) et une somme de cinq millions de francs à la commune de Saint-Nazaire, sous conditions expresses : 1° d'y créer un sana-prévention ou orphelinat agricole et artisanal pour enfants malheureux, indigents de la commune et région, sous le nom de " Fondation du Docteur Donatien Raffegeau " ; 2° et d'en conférer la gérance à une œuvre religieuse. En cas de refus, ce legs irait au docteur Leulier, mon neveu, s'il se conforme à ces conditions. " La commune de Saint-Germain-sur-Moine reçut elle aussi une somme de cinq millions, avec la maison familiale dans le bourg et la ferme de l'Eventar, sises sur cette commune, (rappelons que monsieur et madame Raffegeau avaient fait un don à cette commune pour la création d'un hospice dès 1930). Les autres légataires étaient : Pierre-Charles Raffegeau, (Paris 13 27 décembre 1892 - 23 janvier 1969 Paris 4), chef de service à la Banque de France, chevalier de la Légion d'Honneur pour bravoure militaire, (deux blessures et quatre citations), célibataire, demeurant à Paris 70 rue de Saint-Louis en l'Ile, nommé exécuteur testamentaire, (il fut ensuite président de la société de la Tour Eiffel et officier de la Légion d'Honneur le 31 octobre 1961) ; le docteur Paul-Louis-Gustave-Marie Raffegeau, (Paris 133 février 1895 - 15 novembre 1962 Maintenon), demeurant à Maintenon, (une rue y fut baptisée en son honneur), époux de Germaine-Julie-Françoise Minier, (Paris 11 25 avril 1890 - 22 mai 1974 Paris 5) ; Marie-Louise-Cécile-Joséphine Raffegeau, (Paris 13e 20 janvier 1896 - 6 avril 1983 Paris 6), épouse de Maurice-Louis-Auguste Lamy, (Morez 27 mars 1891 - 4 février 1959 Morez), demeurant à Paris 13 rue Bréa ; et Geneviève Raffegeau, (Paris 13 25 janvier 1905 - 23 novembre 1978 Paris 4), célibataire, pharmacienne, (inventeur d'un thé laxatif), demeurant à Paris, 3 rue de l'Amiral Mouchet, (tous frères et sœurs, enfants du frère de Donatien : Pierre-Antoine-Vincent-Marie Raffegeau, et de son épouse Marie-Victoire-Charlotte Meurdra) ; et madame Leulier, veuve du docteur Leulier, neveu de madame Raffageau-Carpentier. Les parents du docteur, cohéritiers du fait du testament de 1932, entamèrent un démarche auprès des tribunaux, faisant valoir celui-ci, argumentant la volonté de respecter la mémoire de son époux par madame Raffegeau, l'accord entre madame Leulier et monsieur Saudemont fut remis en question, le tribunal statua que Cécile Raffegeau était physiquement et mentalement diminuée au moment de la rédaction du testament de 1942 et le cassa définitivement, mais les héritiers avaient omis que les municipalités Saint-Germain-sur-Moine et de Saint-Nazaire étaient elles aussi cohéritières, le procès dura jusqu'en 1948, l'ensemble des biens de monsieur et madame Raffageau devaient rester sous scellés, mais ils furent en réalité occupés comme nous l'expliquerons dans le chapitre suivant.
Le docteur et madame Raffegeau reposent au cimetière de Saint-Germain-sur-Moine, ils ont laissé le souvenir de gens doux et aimants, extrêmement généreux. A Saint-Nazaire quelques personnes se souviennent encore que madame Raffegeau passait ses journées sur la terrasse abritée de sa maison, elle avait une vue dégagée sur la plage et sur le chemin qui y conduit, n'hésitant pas à inviter les passants à avenir lui faire la conversation.
La municipalité de Saint-Nazaire et la famille Raffegeau obtinrent par jugement du tribunal civil de Cholet la confirmation de la validité du testament de 1932 le 19 juillet 1946, décision confirmée par la cour d'appel d'Angers le 14 avril 1948, déclarant nul le testament du 24 avril 1942 et seul valable celui du 2 novembre 1932, avec ordre d'exécution, sous réserve des accords convenus entre madame Leulier et monsieur Saudemont. La famille Raffegeau tenta cependant de contester l'étendu du lègue fait à la commune de Saint-Nazaire, prétextant qu'il ne concernait que les propriétés sises en bordure de plage. La commune accepta la réduction d'un million sur le lègue fait en numéraire et rentra enfin en possession de 22 ha constitués du Château des Chamilles et ses dépendances, la villa les Mouettes, la maison Pornichette, la ferme de La Vequerie, ensemble estimé d'après le journal Populaire du 6 septembre 1950 à 17 millions de Francs. Le mobilier qui avait été remisé au château d'Heinlex fut alors mis en vente ; c'est ainsi qu'un secrétaire se retrouva chez un couple du chemin des Dames, (depuis revendu, on ignore ce qu'il est advenu), la table ronde de la salle à manger et six chaises, sigillées d'un B et d'un V, chez un couple qui les possèdent encore, etc.
(Sources : Archives de Saint-Nazaire et du Vésinet, " La transmission de la folie, 1850-1914 ", de Jean-Christophe Coffin, Ed. L'Harmattan, 2003 ; Les élections municipales en Maine-et-Loire : coups de gueule et coups de poing ; Anne de Bergh, Archives et culture, 2008 ; La Curieuse Histoire du Vésinet, Georges Poisson, Société d'Histoire du Vésinet, Editeur, 1998 ; et article de Paul René Vallier publié en 2006 dans le bulletin municipal de Saint-Germain-sur-Moine ; témoignages oraux des enfants et petits-enfants des anciens employés du château.)