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Henri Moret

  • Henri Moret

    Henri Moret, tout nazairien qui s’intéresse à l’histoire de Saint-Nazaire connait ce nom, connait son œuvre intitulée « Histoire de la Ville de Saint-Nazaire et de la région environnante ». Mais qui est Henri Moret, et savez-vous qu’une rue lui doit son nom ?

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    Signature de Henri Moret © Archives municipales de Saint-Nazaire.

     

    Voici quelques éléments :

     

    Henri-François-André Moret est né à Nantes le 13 février 1854, au 36 quai de La Fosse, dans un immeuble aujourd’hui remplacé par le musée de l’imprimerie, non loin de la Capitainerie, à une époque où les cabarets et la prostitution étaient l’économie nocturne de ce quartier.

    Son père, André, né à Nantes le 8 octobre 1824, était gabarier. Lui-même était le fil d’un portefaix prénommé François, et d’une bretonne vivant au faubourg Saint-Jacques à Paris, Egalité Orière. Ses frères étaient eux aussi gabariers à Nantes.

    Sa mère, Françoise Devay, née en 1820, était journalière. Elle décéda le 16 mai 1857.

    André Moret se remaria le 27 février 1860 à Sainte-Luce-sur-Loire, avec Victorine Rousseau, née à Sainte-Luce-sur-Loire le 31 décembre 1828, cultivatrice sur l’exploitation de ses parents au Trois-Chênes. Après ce second mariage, André parti vivre avec sa famille reconstituée à Chantenay et se fit marin.

    Eduqué dans un milieu modeste et profondément républicain, Henri Moret fit un service militaire de cinq ans en raison du tirage au sort institué par la Loi Cissey qui rendait aléatoire la durée de celui-ci. C’est à Vincennes, aux services administratifs, qu’il fit son service. Il y resta deux années supplémentaires afin de se former et de pouvoir postuler un emploi dans l’administration, devenant de fait élève de l'Ecole Militaire. Ses années à Vincennes le marquèrent profondément, le château, où il travaillait, l’impressionna durablement.

     

    Retour en Loire-Inférieure :

     

    Après sept années au service de l’administration militaire, Henri obtint un poste d’employé à la Préfecture de Nantes. Il y prit un logement quai de La Fosse, renouant avec ses premières années. C’est à Nantes qu’il épousa, le 26 janvier 1880, sa cousine, Louise-Marie Moret, née à Nantes le 26 août 1858, tailleuse, fille d’Auguste-François Moret, gabarier, et de Louise Blin, ménagère, domiciliés rue Fourcroy.

    De cette union naquirent :

    1. Henri Louis né le 20 janvier 1881 à Nantes, marié à Nantes le 8 aout 1905 avec Jeanne-Noémie-Elise Loisel :
    2. Louise-Henriette, le 12 novembre 1882 à Nantes, mariée le 16 mai 1902 à Nantes avec Guillaume Marie Lefloch ;
    3. Yves-Georges, (Saint-Nazaire 24 mars 1892 – Aiguillon 1er septembre 1966), employé à la Banque de France ; marié à Bordeaux avec Marie-Joséphine-Benjamine-Marguerite Coste le 6 septembre 1915.

     

    L’installation à Saint-Nazaire, la rue de Vincennes, et l’incendie des Archives :

     

    En 1884, Fernand Gasnier, fraîchement élu maire, chercha un nouveau secrétaire de marie qui soit républicain. Son choix se porta sur Henri Moret, qui devient rapidement un habile collaborateur, et monta en grade jusqu’au poste de secrétaire en chef. Il s’établit au 11 rue de Nantes, où son épouse ouvrit un commerce de mercerie.

    Henri profita de ses fonctions pour consulter les archives et entreprendre la constitution du manuscrit d’une histoire de la ville.

     

    Désireux de posséder un chalet dans la campagne nazairienne, comme tous les notables et bourgeois de la ville, il fit l’acquisition d’une parcelle sur la colline dominant la Villès-Martin. La maison était isolée au bout d’un chemin vicinale, et fut longtemps la seule sur cette hauteur désertique, se distinguant au loin par une haie de cyprès, et surtout par un chêne que Moret avait planté, et qui fut longtemps l’unique haute futée de la zone. La maison avait été baptisée « Ker Vincennes », écrit en grande lettres sur un portique enjambant le portail. Les amis de la famille Moret, mais aussi les gens se baladant le dimanche sur la colline, prirent l’habitude de dire qu’ils allaient « à Vincennes », si bien que le nom devint celui de la rue par la suite tracée[1].

     

    Gasnier était notoirement connu pour pratiquer des détournements de fonds par l’intermédiaire des chantiers de travaux de voiries. Face à l’annonce d’une enquête, les bureaux de la voirie, situés au second étage de l’immeuble « Guilouzo[2] », 8 rue des Quatre-Vents, mitoyen du jardin de l’Hôtel de ville et de l’immeuble du journal La Démocratie, prirent feu le matin du 14 février 1893 vers 6 heures[3]. Les bureaux de la Caisse d’Epargne se situaient au 1er étage, et le siège de l’Octroi au rez-de-chaussée, avec un second local qui servait de salle de conservation pour les Archives de la mairie. Le panache de fumée s’éleva haut au-dessus de la ville. La fumée rendait impossible l’entrée dans l’immeuble, cependant les employés de la Caisse d’épargne forcèrent le passage afin de vider le contenu du coffre et évacuer les registres. Les pompiers municipaux arrivèrent, brisant les fenêtres pour pouvoir arroser l’intérieur du bâtiment.  Henri arriva presque immédiatement, suivit du préposé en chef de l’Octroi, Bertho, et du directeur de La démocratie, Lucciardi. N’écoutant que son courage, Henri pénétra dans l’immeuble enfumé pour en ressortir les archives municipales qui se trouvaient dans le local du rez-de-chaussée. Il en sorti d’abord les registres et les plans du cadastre, qui furent entreposés à La Démocratie, puis rentra plusieurs fois dans l’immeuble enfumé pour en sortir registres, cartons et chemises. Les pompiers municipaux installèrent des pompes dans le jardin de l’hôtel de ville, et furent rejoint par le 64ème piquet d’incendie avec sa pompe, bientôt arrivèrent ceux de la Compagnie Générale Transatlantique avec leur pompe à vapeur, qu’ils installèrent dans la rue de l’Hôtel de ville. Henri Moret continuait à sortir des archives municipales ; il finit par tomber inanimée dans l’immeuble. C’est Lucciardi qui le secouru, sous le regard du sous-préfet, Pizot, des adjoints Serin et Lusseaud, du président du Tribunal, Bouhier, du procureur de la République, Lelepvrier, et d’autres huiles locales restées sur le trottoir à contempler le spectacle avec tout le quartier.

    Cet acte de bravoure lui valut une médaille d’argent du travail, une mention honorable sur son dossier, par décret présidentiel le 28 avril 1895 ; puis on le fit officier d’Académie et officier d'administration territorial.

     

    L’exile et le retour :

    Fernand Gasnier ayant perdu la municipalité, celui-ci se replia sur son mandat de député. On épura alors l’administration municipale en éjectant tous ceux qui avaient été ses proches collaborateurs. Moret fut alors renvoyé en juillet 1896 car considéré comme « l'homme de Gasnier ». Il appela l'ancien maire à l’aide. Fernand Gasnier écrivit à Hippolyte Durand-Tahier pour qu’il plaide à la faveur de Moret pour une réembauche, en argumentant sur le fait qu'il se retrouvait sans revenu avec trois enfants, dont un en bas âge [4].

     

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    Une lettre de Fernand Gasnier du 29 juillet 1896 à Hippolyte Durand-Tahier à propos de la situation de Moret, rédigée à Saint-Nazaire sur papier de la Chambre des député, © Archives municipales de Saint-Nazaire.

     

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    Lettre de Henri Moret en date du 3 septembre 1896 adressée à Hippolyte Durant-Tahier © Archives municipales de Saint-Nazaire

     

    Moret fut reclassé comme percepteur des contributions directes à Saint-Georges de Noisné (Deux-Sèvres) en septembre 1896[5]. En 1902 il était en poste à Riaillé, où il rédigea un « Précis élémentaire du service de perception, à l'usage des nouveaux percepteurs, des aspirants à la fonction et des commis de percepteurs », publié en 1902 par l’imprimeur Oberthur à Rennes, et qui connut trois rééditions. Muté au Croisic à la veille de la première-guerre-mondiale, il y rédigea « Le Croisic, précis historique sur la presqu'île croisicaise et la région environnante », publié en 1917 par l’imprimeur Oberthur, ouvrage hélas d’une qualité médiocre.

     

    Mis en retraite, il retourna vivre à Saint-Nazaire avec son épouse en 1921[6], au seconde étage du 21 rue Neuve, dans un appartement doté d’un grand balcon s’ouvrant sur l’estuaire.

     

    Henri Moret, Saint-Nazaire

    L’immeuble du 21 rue Neuve côté Estuaire et quai de Kervilers (aujourd’hui quai des Marées)

     

    Il devint membre de la Ligue Antialcoolique fondée par Campredon[7]. C’est alors qu’il décida d’entreprendre l’écriture de « Histoire de Saint-Nazaire et de la région environnante », une importante somme parue en deux tomes de 500 pages chacun, en février 1925 à Nantes à l’Imprimerie du Commerce, et illustré par le peintre nazairien Alexandre Auffray[8]. Henri Moret avait hésité à écrire ce précis historique, ne voulant pas entrer en conflit avec maître Galibourg[9] qui en 1904 avait annoncé son attention d’écrire un ouvrage sur le sujet, mais qui finalement ne fit rien[10]. Cette publication lui valut l’inimitié de maître Galibourg qui quelques mois encore avant son décès pestait à propos de Moret en dénigrant dans la presse son ouvrage.

    A la parution de ce monument qui est aujourd’hui la seule source complète et détaillée concernant l’histoire nazairienne d’avant 1925, du fait de la destruction d’une grande partie des archives municipales durant les bombardements, la municipalité fit l’acquisition de deux exemplaires[11]… La Chambre de commerce fut généreuse dans ses achats en faisant l’acquisition de vingt-cinq exemplaires, tout comme le Conseil général[12].

     

    Henri Moret décéda le 6 mai 1928 dans son appartement du 21 rue Neuve. Il fut enterré le 9 mai 1928 au cimetière de Toutes Aides.

     

    L’oubli et la redécouverte :

     

    « Les morts sont silencieux », dit un vieux proverbe. On pourrait ajouter aussi que « le bien ne fait pas de bruit ». La mort d’Henri Moret passa inaperçue ou presque. L’Ouest Éclair publia des condoléances en trois phrases à sa veuve le jour de son enterrement, titrées cependant : « L’historien de Saint-Nazaire est mort ». Le Courrier de Saint-Nazaire publia une courte nécrologie le 12 mai 1928 fournissant quelques détails biographiques.

    Son Histoire de Saint-Nazaire resta une référence, dans les années qui suivirent. Marthe Barbance dans sa célèbre thèse consacrée au port et à la ville, le cite toutes les cinq pages comme source. On le citait aussi régulièrement dans la presse pour sourcer une information historique, mais le style de son écriture, déjà un peu passée, et qui aujourd’hui la rend pénible à certains, par ses formulations d’ancien style, peut parfois être incomprise. Ainsi, le 21 septembre 1933, dans un article non signé, le stagiaire en charge de remplir un trou, affirma qu’Henri Moret avait écrit qu’on avait déplacé le Dolmen à un emplacement différent ! Le président du Syndicat d’initiative, André Guillet, adressa une lettre le 28 septembre suivant au Rédacteur en chef, l’informant de l’absurdité du propos. En fait, Henri Moré explique dans son ouvrage, que depuis son arrivé en 1892 à Saint-Nazaire, la ville s’est étendue jusqu’à Dolmen qui était auparavant en périphérie dans un pré. La phrase est cependant écrite dans le style un peu alambiqué de la Belle époque, ce qui prête à confusion. Mais par cet article absurde et par de mauvaises lectures, on a entendu parfois la municipalité et ses élus affirmer aux Nazairiens que le Dolmen était sur roulettes…

     

    La guerre ravagea Saint-Nazaire, détruisant au passage les bibliothèques, dispersa sa population qui ne revint pas totalement, peut d’exemplaires de l’ouvrage de Moret consacrés à Saint-Nazaire, et dont le tirage avait été initialement limité, survécurent à cette période. On n’en retrouva que chez quelques lettrés dont les maisons de Méans ou de Saint-Marc avaient échappées aux bombes et aux pillages. Fernand Guériff, qui possédait les deux tomes s’en servit pour la rédaction de sa propre histoire de Saint-Nazaire publiée, en deux parties elle aussi, en 1960 et 1963. Pour toute la période d’avant 1925, abondamment détaillées, sa source est presque exclusivement Henri Moret, presque mot à mot parfois. Il est cependant regrettable de Guériff ait recopié certains passages de travers, propageant de fausses informations à plusieurs endroits[13].

    La destruction des exemplaires, leur non-republication, firent que Moret fut oublié, et ces écrits présentés comme quelque chose qui aurait été publié au 19ème siècle. Guériff eu la force d’avoir vécu plus longtemps que lui, et il occupa la scène historique nazairienne durant des décennies.

    On ne s’indigna pas quand en 1972 sa tombe fut l’objet d’une reprise de concession et ses restes jetés dans la fosse de l’ossuaire. Plus personne ne savait qui avait été Henri Moret et combien la ville de Saint-Nazaire lui doit.

     

    En 1998, un éditeur dont la mère était native de Saint-Nazaire, et qui possédait un exemplaire original de l’histoire de Saint-Nazaire de Henri Moret, réédita la publication, profitant que l’œuvre était tombée dans le domaine public. Une seconde réédition fut réalisée en 2007, suivit de plusieurs autres, en 2011, 2014 et 2020.

     

    Henri Moret est injustement oublié par les Nazairiens, y compris dans les plaquettes du label ville d’art et d’histoire, et l’on espère que la municipalité aura à cœur de réparer cette injustice et de donner un jour prochain son nom à une rue de la ville ou un une salle, comme elle l’a fait pour Barbance[14] et Guériff[15] qui, nous le répétons, ont puisé très largement dans ses ouvrages.

     

     

     

    [1] Cf. Le Courrier de Saint-Nazaire du 20 juillet 1929. La maison fut détruite dans les années 1960.

    [2] Du nom de l’ancien maire qui l’avait fait construire durant le Second Empire :

    [3] Lire à ce sujet Le Phare de la Loire du 16 février 1895 qui donne de nombreux détails.

    [4] Lettres non signées, mais identifiables à la mention du nom de beau-père de Gasnier, conservées aux Archives municipales de Saint-Nazaire dans le fond Hillemand.

    [5] Lettre du 3 septembre 1896 adressée à Hyppolite Durand-Tahier, Archives municipales de Saint-Nazaire, fond Hillemand.

    [6] Cf. nécrologie publiée dans Le Courrier de Saint-Nazaire le 12 mai 1928.

    [7] http://saint-nazaire.hautetfort.com/archive/2019/04/02/une-figure-nazairienne-louis-campredon-6140914.html

    [8] http://saint-nazaire.hautetfort.com/archive/2012/07/04/alexandre-auffray-peintre.html

    [9] http://saint-nazaire.hautetfort.com/archive/2012/11/02/maitre-alexandre-galibourg.html

    [10] Cf. préface de ladite publication.

    [11] Cf. Le Courrier de Saint-Nazaire du 21 mars 1925.

    [12] Cf. Le Courrier de Saint-Nazaire du 17 octobre 1925.

    [13] Fernand Guériff a recopié de nombreuses publications inexactement, donnant parfois pour source des articles de presse inexistants dans les journaux qu’il indique, confondant les revues et les auteurs. La plus fameuse de ses confusions a alimenté l’absurdité légende de la Petite-Californie-Bretonne, véritable honte pour notre ville : http://saint-nazaire.hautetfort.com/archive/2019/03/19/saint-nazaire-petite-californie-bretonne-6137164.html

    [14] Son nom a été donné à une salle de l’université.

    [15] Une place sans bâtiments au bord de l’Etang du Bois-Joalland porte son nom depuis 2017.