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Narcisse Pelletier

  • Narcisse Pelletier

    Le don de la moitié du budget nécessaire à la restauration du monument funéraire de Narcisse Pelletier au cimetière de La Briandais à Saint-Nazaire a été voté par le Conseil de Saint-Gilles-Croix-de-Vie le lundi 10 mai 2021 au soir.
     
    La finalisation de l'intervention de la Ville de Saint-Nazaire en cours.

  • Merci pour Narcisse

    Depuis trois semaines, des déposent des cailloux sur la tombe de Narcisse Pelletier, et cette semaine une personne a déposé des narcisses. Les Amis de Narcisse Pelletier adressent leurs remerciements à ces anonymes.

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  • Narcisse Pelletier, reportage de France-Culture

     

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    Messieurs Yves Aumont et François Teste, dans le cadre de la série de documentaires « Une histoire particulière », sont venus en janvier dernier à Saint-Nazaire interroger l'auteur de ce blog à propos de Narcisse Pelletier[1], occasion de parler brièvement de la vie de cet homme au destin incroyable, de la restauration de sa tombe qui débutera au printemps 2021 grâce aux co-financement des villes de Saint-Gilles-Croix-de-Vie et de Saint-Nazaire, sur l'initiative de l'auteur et avec l'aide des Amis de Narcisse, association internationale qui a maintenant son antenne à Saint-Nazaire.

     

    Les passages enregistrés à Saint-Nazaire l'ont été au phare de la Tour du Commerce, grâce l'intervention de monsieur Emmanuel Mary, chargé des missions patrimoine de la Ville de Saint-Nazaire, et à la bienveillance de monsieur Michel Ray, adjoint à la Culture ; sur la plage de Porcé, où Narcisse expliqua à la famille Bord, à l’aide d’un grand dessin, un jour de 1877, le Rêve, mythe de la Création selon la nation Aborigène ; et enfin, au cimetière de La Briandais, devant la tombe où repose Narcisse avec son épouse.

     

    Le documentaire, en deux parties, est audible sur les liens suivants :

    Première partie, sa jeunesse à Saint-Gilles, et son naufrage : https://www.franceculture.fr/emissions/une-histoire-particuliere-un-recit-documentaire-en-deux-parties/yukio-mishima-1925-1970-le-labyrinthe-des-masques

     

    et

     

    Seconde partie, son retour en France et sa vie à Saint-Nazaire :

    https://www.franceculture.fr/emissions/une-histoire-particuliere-un-recit-documentaire-en-deux-parties/narcisse-pelletier-laborigene-vendeen-22-le-paria-des-iles

     

     

    [1] http://saint-nazaire.hautetfort.com/archive/2019/09/22/narcisse-a-saint-nazaire-6177707.html

  • Narcisse Pelletier à Saint-Nazaire

    Si vous allez vous promener à Saint-Gilles-Croix-de-Vie vous rencontrerez une borne dans un square de la cité historique de Saint-Gilles-de-Vie, qui vous relatera la vie d’une enfant du pays connu sous le surnom de « Sauvage Blanc », et qui mentionne que celui est décédé à Saint-Nazaire.

     

    Qui est donc ce Narcisse Pelletier que l’on célèbre à Saint-Gilles, mais qui est un inconnu de la municipalité de Saint-Nazaire où portant il finit sa vie ?

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    Narcisse Pelletier photographié à Sydney en 1875, collection de la Royal Historical Society of Queensland

     

    La vie de Narcisse Pelletier, ou du moins un épisode de dix-sept années de sa vie, a été passablement relatée dans des ouvrages plus ou moins sérieux et correctement documentés. Nous nous bornerons sur ce blog d’en faire un résumé et de donner les éléments qui nous sont connus de ses dernières années à Saint-Nazaire.

     

    Alphonse-Narcisse-Pierre Pelletier est né le 1er janvier 1844, à 4 heures, à Saint-Gilles-sur-Vie, (devenue en 1967 commune de Saint-Gilles-Croix-de-Vie), premier enfant de Martin-Hélier Pelletier, bottier, originaire des Sables d’Olonne, d’une famille d’artisans amidonniers et serruriers, (et non de notables de robe comme il a été écrit ailleurs), et d’Alphonsine-Hyppolite Babin, couturière, issue d’une famille de marins de Saint-Gilles. Le couple eut ensuite d’autres enfants, dont trois fils qui atteignirent l’âge adulte : Helie Jean Felix, né en 1845 ; Alphonse Henri Victorien, né en 1854 ; et Benjamin Hippolyte Jean, né en 1859.

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    Acte de naissance de Narcisse Pelletier. Cliquer pour agrandir.

     

    À l’âge de 12 ans, sa scolarité étant terminée, il fut obligé de gagner sa vie, et débuta comme mousse à bord du sloop l’Eugénie, sur lequel il embarqua aux Sables d'Olonne le 12 mai 1856 pour un premier voyage de cinq mois, alors que, comme nombre de marins d’alors, il ne savait pas nager ! Débarqué à Luçon, il gagna Bordeaux où il fut embarqué, le 29 octobre 1856 à bord de La Reine de Mers, un navire en partance pour Trieste. A son bord il fut violenté et blessé au couteau par le second du navire, (on suppose une tentative de viol), ce qui le fit quitter le bord à Marseille le 29 juillet 1857. Il y embarqua le 9 août 1857 sur le Saint-Paul, navire venant de Bordeaux, commandé par le capitaine Emmanuel Pinard, à destination de Bombay. Pinard tenait du pirate et marchand négrier. De Bombay le navire gagna Hong Kong pour le compte d’une compagnie minière anglaise qui désirait transporter en Australie des ouvriers chinois. Durant l’embarquement de ses hommes nommés péjorativement dans la langue de Shakespeare « coolies », l’équipage n’eut pas l’autorisation de descendre à terre. Les Chinois, au nombre de 317, furent entassés comme des bêtes en fond de cale et rationnés au strict minimum par Pinard qui n’avait pas prévu de vivres en suffisance pour tout le monde. L’ambiance à bord en devint rapidement délétère, le manque de nourriture et d’eau entraîna des ravitaillements en saut de puce entre des côtes habitées de populations qui n’avaient pas grand-chose à vendre.  Le ,  jour de brouillard, au large de l’île Rossel, à l'est de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, Pinard confondit une montagne avec un grain avançant au loin. Le Saint-Paul heurta un récif et coula rapidement. On jeta dans les chaloupes quelques vivres déjà gâtés par l’eau de mer s’engouffrant dans la cale, et l’on gagna un îlot qui affleurait. De la côte de l’ile voisine, des indigènes se signalèrent, causant une panique plus grande chez les naufragés qui redoutaient leur réputation de cannibales. Il faut ici préciser que les peuples endémiques de cette partie du Pacifique pratiquaient l’anthropophagie rituelle à grande échelle. Cette anthropophagie, dont on signalait encore quelques cas malgré l’occidentalisation, s’accomplit exclusivement sur les sujets masculins par des sujets masculins, et consiste à dévorer les cadavres des guerriers tués afin de s’emparer de leur force, où sur des hommes suspectés d’être habités par l’esprit d’un démon, nommé « khakhua », responsable des accidents mortels que peuvent subir les gens de la tribu. Les femmes sont en effet exclues de la possession, et n’ont droit au régime anthropophage que dans le cas de consommation rituelle du cadavre d’un homme important de la tribu, acte rare, mais ayant la particularité de transmettre le kuru, forme humaine de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Cependant, les indigènes se montrèrent au départ amicaux, apportant un peu de nourritures aux naufragés, mais pour une raison inconnue, il y eut un affrontement au cours duquel il y eut deux morts parmi les Français, et durant lequel Narcisse fut blessé à la tête par un jet de pierre. Les marins français employèrent les armes et le peu de poudre qu’ils avaient pu sauver. Le capitaine Pinard décida de partir avec son équipage à bord de la chaloupe en direction des voies de navigation ou d’une côte plus accueillante. L’embarquement se fit de nuit, sans prévenir, et c’est parce qu’il fut réveillé par le bruit des autres marins se levant que Narcisse et un mousse plus jeune qu’il réveilla à son tour, purent fuir l’îlot. Pinard raconta par la suite au Ministère de la Marine   qui lui demanda des comptes, avoir convenus avec les Chinois son départ avec ses hommes pour chercher des secours, et leur avoir laissé des vivres. En réalité il ne leur laissa rien, car il n’y avait presque plus rien à manger et surtout à boire. Les Chinois furent contraints de se nourrir de coquillages et de récolter l’eau de pluie. Deux d’entre eux décédèrent de faim, et furent inhumés sous des coquilles. Au bout de quelques jours, les indigènes les forcèrent à se rendre sur l’île Rossel. Trois mois plus tard six d’entre eux réussirent à fuir et à se faire sauver par un navire écossais qui les vit se signaler sur la plage. Deux jours après ce sauvetage, Pinard arriva avec un navire pour récupérer ceux qui étaient pour lui une simple cargaison dont il aurait le payement pour le transport qu’une fois en Australie. Un seul d’entre eux était encore vivant et pu être sauvé à son tour.

    Mais quand Pinard revient avec ses hommes sur le lieu du naufrage du Saint-Paul, Narcisse Pelletier n’était pas avec eux. Ils l’avaient abandonné depuis longtemps sur une plage Australienne. En effet, voici ce qui s’était passé après la fuite de l’équipage à bord de la chaloupe :

    Les marins français firent un voyage de douze jours à la rame, en buvant leur urine faute d’eau potable, et en se partageant quelques boites de conserve. Arrivés au large de l'Australie, ils débarquèrent au Cap Direction et cherchèrent séparés en deux groupes, de l’eau potable. Ils furent confrontés à une tribu qui les attaqua à l’aide de flèches, blessant au passage Narcisse. Après quatre jours d’errance, ils se divisèrent en deux groupes dont l’un fut chargé d’exploration, il se perdit et ne fut retrouvé par l’autre que deux jours après. Deux hommes périrent alors d’épuisement.

    Ils finirent par trouver un creux que remplissait une maigre source. Rués sur ce point minuscule, les marins ne laissèrent pas Narcisse s’en approcher, et quand ils le laissèrent enfin, la mare de quelques centimètres de profondeur pour une circonférence de trois mettre était à sec. Ils argumentèrent, en désignant un fin filet d’eau qui suintait, que Narcisse n’avait qu’à rester pour remplir son quart, qu’il pouvait rester se reposer là, et qu’ils reviendraient d’ici quelques heures le retrouver après avoir exploré plus avant la côte à la recherche de fruits. Narcisse resta là, bu ce qu’il put au bout de quelques heures, et s’endormit. Les marins ne revinrent jamais. Il finit par pouvoir se désaltérer, et trouva des fruits dont il fit provision avant de partir vers la plage où la chaloupe avait accosté. Il ne trouva personne, ils étaient partis. Pinard prétendit qu’ils avaient cherché Narcisse, mais qu’ils n’avaient pas pu réaccoster sur la plage du fait d’un faible tirant d’eau à marée basse, et ne l’avaient pas vu.

    Notre Gillocrucien erra sur la côte en suivant des empreintes de pied laissées sur le sable. Épuisé et affamé, il ne dut son salut qu’à des aborigènes de la tribu des Uutaalnganus qui le découvrirent. L’un des hommes influant du clan (il n’y a pas de chef de tribu chez les aborigènes), prénommé Maadman, se comporta avec lui comme un père durant les dix-sept ans qui suivirent, lui enseignant langue, culture et usages. Narcisse, reprénommé « Amglo », se plia aux usages et rituels, participa à douze guerre tribales, et fut initié, à l’âge adulte, aux misères de la Foi aborigène, subissant scarifications rituelles sur la poitrine et l’épaule gauche, au perçage de la cloison à la base du nez pour y introduire un morceau d’un Ztigau, (fin cylindre d’os), et des lobes pour y passer des cylindres de bois. Marié, il eut trois enfants dont on ignore le destin (deux sont mentionnés comme présents durant sa capture par les Britanniques, Narcisse avoua le nombre de trois à un ami).

    Le 11 avril 1875, le navire anglais John Bell mouilla à proximité de la plage où la tribu séjournait. Une chaloupe fut mise à l’eau, avec à son bord uniquement des marins à la peau noire, car les Anglais pensaient que les aborigènes se montreraient amicaux avec des hommes à la couleur de peau proche de la leur. Les marins noirs prirent contact avec la tribu, et rapportèrent à leur capitaine avoir vu un homme blanc parmi eux couvert de cicatrices, aussi nu que les sauvages parmi lesquels il était. Il fut donné ordre d’aller le chercher, le capitaine du John Bell pensait que c’était un bagnard évadé. Narcisse fut enlevé par les marins noirs qu'il pensa être anthropophages. Ayant reçu des vêtements à bord de la chaloupe, puis monté à bord du John Bell, il se sentit rassuré à la vue d’Européens, mais il chercha à s'échapper plusieurs fois, et fut finalement entravé. Les Anglais finirent par déduire qu’il était français. Le bateau alla d'abord au port de Somerset (Queensland), à une vingtaine de kilomètres, puis à Sydney où se trouvait le consulat de France. Le consul, Gabriel-Eugène Simon, qui l’identifia grâce aux lettres qu’il avait reçues de la famille Pelletier, depuis dix-sept ans. Retrouvant ses rudiments de langue française et d’écriture, Narcisse rédigea laborieusement une lettre à destination de ses parents. C’est en réalité par la traduction d’un article du Times publié dans la presse française, que ses parents furent informés que leur fils était toujours vivant.

     

    Narcisse quitta le port de Sydney pour regagner la France. À l’escale de Nouméa le 7 août 1875, il y rencontra un soldat natif de Saint-Gilles comme lui qui lui donna des nouvelles de sa famille. Durant son voyage de retour, Narcisse commença à se présenter comme une victime des aborigènes, attendu qu’il n’était pas possible d’avouer, à une époque où les Occidentaux se croyaient supérieurs racialement, qu’il avait fait le choix de vivre comme un « sauvage ». Il appuya sa position de victime sur une blessure rituelle à la jambe qu’on lui avait faite.

     

     

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    Article illustré paru dans The Graphic le 31 mars 1875

     

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    Article stupide typique de l'époque paru dans le journal Scapin du 1er août 1875

     

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    Vision fantaisiste de la capture de Narcisse parue dans le Journal Illustré du 8 août 1875

     

    Le 2 janvier 1876, Narcisse y fut accueilli en héros à Saint-Gilles. Le souvenir de cette entrée triomphante est resté un souvenir encore vif dans la mémoire des familles gillocruciennes.

    On l’expédia un temps à Paris, où il fut l’objet d’observations de plusieurs professeurs et médecins réputés, dont Georges Félizet, (1844-1909), chirurgien à l’hôpital Beaujon, qui fit le détail de ses scarifications, et le docteur Arthur Chervin, (1850-1921), spécialiste du langage, (il fut deux ans plus tard nommé directeur de l'Institut des bègues à Paris). Arthur Chervin laissa à propos de Narcisse le témoignage suivant : « Je dois dire que cet individu m’a laissé une assez triste impression : il était très défiant, sournois et probablement menteur ; peu intelligent d’ailleurs, mais parlant le français parfaitement bien.[1] » Cette description est en contradiction avec les observations du docteur Augustin Ricard, médecin à bord du navire qui le ramena en France. Il le présente comme un homme intelligent et charismatique. Le fait est que Narcisse ne pouvait pas tout dire concernant sa vie chez les aborigènes, ce qui contraria profondément Chervin, qui soupçonnait qu’il s’était intégré parfaitement au groupe aborigène et n’avait pas été victime.

    Le docteur Constant Merland lui proposa de rédiger ses mémoires afin d’avoir de l'argent et de rétablir des vérités concernant son histoire et le naufrage du Saint-Paul. Il en résulte un témoignage, très complet, sur la tribu aborigène parmi laquelle il vivait, tant sur les mœurs, la langue, les arts, mais plus que vague quant à sa vie et à sa personnalité. Présenté le 1er mars 1876 devant la Société Académique de Nantes, et paru en août 1876, objet de plusieurs articles dans la presse, l'ouvrage trouva cependant peu d'acheteur. Il est consultable via le lien suivant : https://books.google.fr/books?id=XYNEsmZtS6kC&printsec=frontcover&dq=Constant+Merland&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiP-O_qo93kAhVM8uAKHWykBhMQ6AEINDAC#v=onepage&q&f=false

    Pour illustrer celui-ci, Narcisse fut photographié par Constant Peigné dans une mise en scène de sauvage ébouriffé.

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    Narcisse Pelletier, photographie de Constant Peigné, photographe nantais ayant depuis 1875 une succursale à Saint-Nazaire.

     

     

     

     

    Le dossier concernant le naufrage resta quant à lui ouvert… Le Ministère de la Marine accorda à Narcisse la fonction de gardien du phare d’Aiguillon en Saint-Nazaire.

    A son arrivée à Saint-Nazaire à la fin du mois d'août 1876, toute la ville le reconnut, car Constant Peigné, avait exposé, à des fins publicitaire, l'ouvrage du Docteur Merland et les photographies qu'il avait réalisées de Narcisse torse nu et en vêtements européens, dans la vitrine de son atelier rue de Nantes, à l'angle de la rue du Prieuré, l'artère principale et commerciale de la commune.

    Comme maitre de phare, Narcisse gagnait 520 fr l'an plus le logement, alors qu'un ouvrier gagnait alors sans le logement 1.800 fr. A l’époque il n’y avait pas de constructions autour du phare, les chalets construit, dans le vallon qui descend à la plage de Port Charlotte n’avait pas encore été édifiés par le marchand de vin Jean-Baptiste Lechat, pour ses enfants, (dont le maire de Saint-Nazaire Auguste-Baptiste Lechat-Boilève). L’habitation la plus proche était la maison du pilotage de la pointe de L'Eve remplacée ensuite par un fort. Autour tout n’était que pâturages bataillés par les vents, borné de quelques buissons bas. Aiguillon était qualifié de « phare de purgatoire », celui des Charpentiers en pleine mer « d’enfer », celui de Kerlédé, abrité à l’intérieur des terres, « de paradis ». Le Phare, aujourd'hui très petit, était alors un d'aval, fixe, haut de 36m, avec une portée de 4 I.

     

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    Le phare d'Aiguillon tel que Narcisse Pelletier le connut, avec sa hauteur initiale de 36 m.

     

    Narcisse vécu au phare d’Aiguillon dans un grand isolement, entretenant des relations tendues avec les pilotes du poste de garde de Léve, qui avaient eu le tort de le surnommer « le Sauvage », et avaient essuyé de sa part une terrible colère ponctuée d’un cri strident appris dans le bush. La mémoire nazairienne et un le témoignage de Charles Beilvaire paru dans Le Courrier de Saint-Nazaire du 20 mai 1933 relatent que ce cri provoquait des frissons à ceux qui l’entendaient. Les relations avec les habitants du Petit-Gavy, à l'exception du notaire William Le Besque, étaient, elles aussi tendues, les habitant qui parlaient encore presque exclusivement breton étaient très méfiants, quant à ceux de Saint-Marc, au nombre d'une centaine hors saison estivale, étaient peu amicaux eux aussi. Les estivants qui triplaient la population du village à la belle saison étaient quant à eux allaient en excursion du côté du phare dans l'espoir de l'entrevoir pour satisfaire leur curiosité en se procurant le frisson d'avoir croisé un cannibale...

    Par ailleurs sa santé était alors fragile. Outre la blessure à la jambe qui constitua un abcès dont il ne guérit jamais et lui provoquait de fortes fièvres, les scarifications qu'il avait sur la poitrine et le ventre ne cicatrisèrent que grâce aux soins que lui prodigua le docteur Alcide Benoist, et dont celui-ci fit mention dans un article, (non signé mais assurément de sa main), du Gaulois en date du 13 mai 1877, mentionnant qu'il avait une particulière « au ventre [c']est cicatrisée mais forme une sorte de poche "comme pour les kangourous" ».

    En 1877 Narcisse demanda à changer de poste, il était devenu un homme taciturne ; les regards que posaient sur lui les Nazairiens en raison d'une grande perforation à l'oreille droite, dont le lobe était devenu pendant, lui étaient lourds, tout autant que les rumeurs qui courraient à son sujet. On le disait cannibale, chasseur à l’arc ou à la lance, (il semble en effet avoir chassé le lapin sans fusil) ; on menaçait les enfants d'aller le chercher s’ils n’achevaient pas leur assiette de soupe. Pourtant il parlait facilement de ce qu'il avait vécu en Australie, mais refusait de répondre quand il lui était demandé s'il avait été marié dans le clan, et entrait dans des colères terribles quand on lui demandait s'il avait mangé de la chair humaine, (cf. Le Gaulois du 13 mai 1877). Narcisse avait aussi le tort d'avoir une hygiène très soignée, à une époque où les gens ne lavaient leur corps que par parties suivant les jours. Une description physique de juillet 1878 parue dans Le Figaro le décrit comme « un homme portant des vêtements d'ouvrier en toile bleue, coiffé d'un chapeau de marin en paille en été, très propre, d'une taille un peu au-dessus de la moyenne, les yeux petits et vifs, la physionomie agréable, et [portant] une petite moustache châtaine. » ; Narcisse boitait de la jambe gauche. La blessure qu'il avait reçue en Australie pour avoir mangé un poisson non autorisé, refermée par les médecins européens, ne se guérit jamais et fit qu'il fut régulièrement malade. Le docteur Benoit, qui le soigna régulièrement pour celle-ci, devint peu à peu son ami. Il se lia aussi avec le médecin explorateur Hyppolite Griffon du Bellay, et avec Georges-William Lebesque qui possédait le manoir de Port-Gavy, (aujourd'hui connu comme « l'école des infirmières »).

    Cependant Narcisse n’était pas seul à Saint-Nazaire, son frère Alphonse y était menuisier, et par son intermédiaire il se fit des amis qui gardèrent de lui l’image d’un homme grande timidité, gentil, séduisant, mais traînant une tristesse infinie. Un détail est resté en mémoire dans ma famille : un jour sur la plage de Porcé, après avoir été reçu par la famille Bord, propriétaire du château des Charmilles, domaine qui bordait la plage, il y narra la conception de la création du monde par les aborigènes, qu'ils nomment « Rêve », en réalisant des dessins sur le sable dans un grand cercle. Il prit soin d'effacer le dessin à la fin de son récit et brisa le cercle d’un grand geste, en disant que « le Créateur doit retour à l'origine ».

    Narcisse recevait régulièrement dans son logis du phare d’Aiguillon la visite de linguistes et d’ethnologues qui l’interrogeaient sur les aborigènes. On sait qu'Edouard Garnier retranscrit quatre chansons aborigènes qu'avait retenu narcisse. Deux de ces chansons étaient pour danser, l'une était à chanter la nuit, la dernière était une « invocation de la lune ». L'anthropologue David Thompson a transcrit l'un des mots de la chanson : " Yunthu kalinan, kalinan, Yunthu kalinan, kalinan. Para kalinan, kalinan. Para kalinan, kalinan... ", ce qui se traduit par : « Racine de nénuphar porte-nous, porte-nous. Racine de nénuphar porte-nous, porte-nous. Homme blanc porte-nous, porte-nous. Homme blanc porte-nous, porte-nous. »

     

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    Narcisse Pelletier en tenue occidentale à Sydney en 1875, collection de la Royal Historical Society of Queensland.

     

    L'isolement au Phare d'Aiguillon lui pesa tant qu'il obtint de devenir au printemps 1878 garde des signaux des marées de l'entrée du port (actuelle vieille-entrée), avec un appointement annuel de 600fr, ce qui comporte l'indemnité de 100fr pourvu par l'administration pour son logement qui ne lui est plus fourni, salaire donc inférieur de 20fr à sa situation de gardien de phare, et correspond à la moitié du salaire annuel d'un ouvrier. Logé modestement près du port, il devient une curiosité pour les officiers de marines qui cherchaient son contact. Un jour de juillet 1878, le capitaine Richard, capitaine du steamer de première classe (grande vitesse) Jean-Baptiste-Say, navire au service des raffineries sucrières Emile Etienne de Nantes, venu de Bristol et Swansea, dans le port depuis le 15 juin, l'interpella sur le port et lui présenta deux « collaborateurs » du Figaro qui devaient prendre le repas de midi à bord de son vapeur. L'un des deux collaborateurs fit de cette brève rencontre sur le quai un article intitulé « Un sauvage parmi les Français », qu'il ne signa pas, paru dans le numéro du 10 juillet 1878. L'article comporte des erreurs à propos de la situation de Narcisse à Saint-Nazaire ; si le portrait physique qui y est fait est lui véridique, il comporte des commentaires ignobles même pour l'époque, notamment sur la nature du rire de Narcisse, que le journaliste décrit comme suit : « ce qui sort tout à fait de l’ordinaire, c’est la bouche de Pelletier, lorsqu’il rit. Certes, les lèvres n’ont rien de celle d’un nègre, cependant elles se relèvent et se contractent d’un rictus, singulier, caractéristique. Le rire de Pelletier n’est plus du tout celui de l’homme civilisé, c’est bien réellement celui d’un être qui a passé la moitié de sa vie au sein des peuplades australiennes. » Narcisse aurait répondu à ceux qui l'interrogeait sur sa sexualité parmi le clan aborigène, qu'il serait reparti « aussi innocent [qu'il était] venu », s'il n'avait fait l'expérience de la chaire avec une femme en couple deux mois avant d'être découvert par l'équipage du John Bell, avec un commentaire sur le fait que « les maris aborigènes sont très jaloux » et qu'il ne se serait pas vanté de cet exploit amoureux. Et le journaliste de conclure qu'à son avis la blessure qu'il avait à la jambe serait liée à cet adutère.

    La découverte de l'article fut pour Narcisse déplaisante. Outre le descriptif déplaisant de son rire, les erreurs et déformation de propos, ce sont les inventions à propos de sa vie en Australie, et l'assertion sur l'origine de sa blessure, qui le mirent très mal. Il en parla à ses amis, se dit déçu et fâché que des gens « qu'il pensait sérieux » aient pu publier de telles choses. Un journaliste de L'Avenir de l'arrondissement de Saint-Nazaire, qui signait Ferdinand, publia un démenti le 21 juillet, intitulé « Le Figarot et Narcisse Pelletier » dénonçant le manque de discrétion et les inventions, en remettant en avant la biographie publiée par le docteur Merland. Ferdinand ajouta que Narcisse avait répondu « avec sa franchise habituelle » aux questions plus ou moins indiscrètes que les deux hommes lui avaient posées, sans penser qu'ils auraient l'audace de publier ses réponses sur des sujets sexuels. Cela servit de leçon à Narcisse qui à partir de là ne donna plus d'interview.

     

    C'est, semble-t-il, par l'intermédiaire de son frère que Narcisse rencontra Louise-Désirée Mabileau, né à Saint-Nazaire le 28 novembre 1857, couturière, fille de l’ancien meunier[2] du moulin du Ménaudoux[3]. Elle vivait au village de La Tranchée. Il l'épousa civilement le 18 octobre 1880 à la mairie de Saint-Nazaire, et religieusement en l'église de l'Immaculée le 31 octobre.

     

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    Acte de mariage civil de Narcisse Pelletier, avec sa signature. Ses deux frères, Hélie, cordonnier aux Sables d’Olonne, et Alphonse, menuisier à Saint-Nazaire, furent ses témoins. Archives Départementale de Loire-Atlantique. Cliquer pour agrandir.

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    Acte de mariage religieux de Narcisse Pelletier. Archives diocésaines de Nantes. Cliquer pour agrandir.

     

    Peu de temps après son mariage, Narcisse fut promu chef des haleurs, qu'on nommait aussi garde-feux car ils devaient surveiller d'éventuels départ d'incendie, affecté à la manœuvre de la toutine, (sorte de filin servant à attraper et amener les amarres), et avant sa mort, employé aux bureaux du port, à un post non déterminé (la destruction des archives du Port fait ici une lacune). Le Courrier de Saint-Nazaire du 20 mai 1935 mentionne que les haleurs le redoutaient, le trouvant taciturne et irritable. Le regard noir et perçant de Narcisse accentuaient leur sentiment de crainte. Le couple emménagea dans un appartement avec jardin au rez-de-chaussée du 20 de la Grand Rue, un immeuble divisé en quatre logements, situé dans la Vieille-Ville, ce qui correspond très exactement à l'actuel n°7 de la place de La Rampe, occupé par le Café de L'Atlantique.

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    Registre du recensement de 1881

     

    En 1885 Narcisse acquit en son nom seul l'ensemble de la maison où se trouvait son appartement, avec la cour et le jardin attenants, aux héritiers de Jean-Claude Dubochet, (Saint-Nazaire 16 janvier 1757 - 8 septembre 1837 Saint-Nazaire), notaire, maire de Saint-Nazaire de 1834 à 1837.

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    Extrait de la Matrice des propriétaires nazairiens, A.D. 44, 3P191/8.

     

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    Situation du 20 Grand'Rue sur le plan de projet d'alignement de 1899

     

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    Façade de l'immeuble où vivait Narcisse Pelletier au 20 Grande Rue, Archives de Saint-Nazaire, Fonds Dommée, 5J/506

     

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    Plan de l'appartement de Narcisse Pelletier au rez-de-chaussée du 20 Grande Rue, Archives de Saint-Nazaire, Fonds Dommée, 5J/506

     

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    Vue de la Grand'Rue en 1900 ; La maison de Narcisse Pelletier est situer dans le cadre rouge 

     

    En 1886 les Pelletier avaient une famille de locataire, celle d’Ignace-Marie Pillier, 35ans, domestique, de son épouse Valentine-Marie Thomas, 27ans, lingère, et leur fils Henri Piller, âgé de 10 mois. 

    En 1891, c’est Rose Yver, veuve Mabileau, la mère de Louise-Désirée, qui est locataire, et était chargé de l'éducation d'une fillette, Berthe-Louise-Marie Terrien, (Savenay 11 mai 1889 - 9 janvier 1972 Savenay), qui vivait chez eux, et fut déclarée pensionnaire au recensement de 1891, mais ne se trouve pas dans celui de 1894. Fille de commerçants de Savenay, elle n'avait aucun lien de parenté avec le couple Pelletier.

     

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    Registre du recensement de 1881.

     

    Narcisse décéda le 28 septembre 1894 à Saint-Nazaire, au 20 de la Grand'Rue, de septicémie en raison de la blessure à la cuisse qu'il avait reçue en Australie, qu'on avait refermée, mais dont l'abcès en fut jamais guéri, et qui tout le reste de sa vie en France lui avait provoqué des fièvres et obligé à prendre des jours d'arrêts. Sa mort fut relatée dans les journaux. Il fut inhumé religieusement le 30 septembre au cimetière de La Briandais, section N17, sa tombe est dans un état d'abandon alarmant, la croix est renversée, la plaque à disparue, et il n'y a aucune signalétique mise en place par la municipalité qui est totalement ignorante de sa vie et de sa présence au cimetière.

     

     

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    Acte de décès de Narcisse Pelletier, Archives Départementales de Loire-Atlantique. Cliquer pour agrandir.

     

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    Acte religieux d’inhumation de Narcisse Pelletier, Archives diocésaines de Nantes. Cliquer pour agrandir.

     

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    Tombe de narcisse Pelletier et de son épouse au cimetière de La Briandais, état en 2019

     

     

    Louise-Désirée Mabileau demeura au 20 Grand'Rue avec toujours une famille comme locataire. Elle se remaria le 5 juin 1905 avec Joseph-Marie Tellier, (Boué le 19 avril 1853 - 27 mai 1912 Saint-Nazaire), un retraité des Douanes qui résidait rue des Grand Ormeaux en la maison Lehuédé, (boulevard de La Renaissance). Fils de Pierre-Marie Tellier, (Campbon 1825 - 14 février 1905 Saint-Nazaire), cultivateur, et de Jeanne Suet, (+ 13 mai 1885 Bouée), Joseph-Marie Tellier était veuf de Rose Chicaud (Lavau 1856 - 22 février 1904 Saint-Nazaire). Le nouvel époux vint vivre au 20 de la Grand'Rue.

    A nouveau veuve, Louise-Désirée vendit en 1930 la maison de la Grande Rue à Jean Orger, marin né à Noirmoutier en 1873, et son épouse Madeleine Damour, née à Noirmoutier en 1875. Elle s’établie à La Villès-Martin où elle décéda le 22 juillet 1930. Ses parents, son second époux et elle reposent dans la même tombe que Narcisse.

     

    [Ajout du 6 octobre 2021]

    Le monument funéraire Narcisse Pelletier a été été sauvé par l'Association Internationale de Amis de Narcisse Pelletier, via son antenne nazairienne au cours du mois de septembre 2021. Ce monument a été béni le 28 septembre 2021 en présence des maires de Saint Gilles Croix de Vie et de Saint-Nazaire, qui ont épandu sur la sépulture, avec les personnes présentes, du sable de la dune de La Garenne, où Narcisse jouait enfant.

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    [Fin ajout 6 octobre 2021]

     

    [1] Bulletins et Mémoires de la Société d'Anthropologie de Paris, année 1880.

    [2] Elle était fille de Marc-Séraphin Mabileau, (Saint-Père-en-Retz 7 octobre 1819 - Saint-Nazaire le 31 décembre 1879) et de sa seconde épouse Rose-Francoise Yver, (La Chapelle-Launay 4 octobre 1823 – Saint-Nazaire le 21 novembre 1902). Tous deux partagent la tombe de Narcisse.

    [3] Dépendant du village de La Tranchée, le moulin du Ménaudoux fut construit durant le règne de Louis-Philippe, en bordure du Grand-Marais, au niveau de la rue Claude Perrault, (la rue du Ménaudoux désigne le chemin qui y conduisait). Le nom de Ménaudoux est la déformation du nom breton « Maez an Aodou », qui signifie « domaine de la côte ». Avant la construction du moulin, il n’y avait rien si nom un espace agricole clos de murs. Contrairement à ce qui a été souvent écrit, le moulin et la maison du meunier existaient toujours avant l'occupation allemande.