29 novembre 1627, requête devant le Parlement de Bretagne
Face aux Guérandais qui leur demandaient de contribuer aux frais des garnisons stationnant dans leur ville, et en dépit de leurs privilèges anciens, les Nazairiens adressèrent le 29 novembre 1627 une requête au Parlement de Bretagne pour appeler de l'arrêté du sénéchal de Guérande, dans laquelle ils rappelèrent l'ensemble des décisions ducales et royales qui les dispensaient de contribution (1) :
A Nos seigneurs du Parlement supplyent humblement les paroissiens de la paroisse de Saint-Nazaire presque environnés de la mer et en l'embouchure de la rivière qui descend de Nantes à la mer, distante de la ville de Guerrande de quatre lieues ou environs.
Disantz que de tout temps immémorial les habitants de Guerrande les ont voulu assujettir à plusieurs choses, comme à curer les douves des ville et, chasteau, les capittaines à paier les guez, soubz prétexte que les jurisli étions qui s'exercent a. Sainct-Nazaire aux seigneurs qui ont droict de fieff rellevent de la jurisdiction royale de Guerrande et en un mot qu'ilz sont souez l'estandue dicelle jurisdiction et en arrière fief.
C'est pourquoy dés l'an mil-quatre-cent-cinquante-quatre vos supplia us furent contrainctz se pouvoir vers le duc Pierre qui estoient lors le prince souverain en ceste province, pour avoir lettres de lui d'exemption de tous debvoirs et autres qu'eussent peu prétendre les cappitaines et habitans de la dicte ville de Guerrande, fondées sur ce que les dits suppliants estoient exposez en touttes sortes de périls qui peuvent journellement arriver à ceulx qui sont à la coste de la mer, et spéciallement sy proche, comme-ont les suppliants, car la mer donne tous les jours quand les marées viennent jusqu'aux murailles de leur Eglise (2), et par conséquant leur fault toujours estre sur leurs armes tanct de jour que de nuict : ce qui ne se peult faire qu'avecq de très grandes incommoditez et despances ;
touttes lesquelles choses et autres dignes de considération considérées par ledict seigneur duc Pierre, il leur donna et octroya ses lettres signées de sa propre main, le 28e jour de novembre l'an mil-quatre-cent-cinquatite-quatre, fort amples, contenantes la plaine et entière e.reinption de touttes contributions de levés de deniers de quelque quallitè et nature que ce peut estre, lust-ce pour la construction des murailles de ladite ville qui pou voit estre lhors nécessaire, que curretnent des douves, garde et bref toutes autres choses en quoy ils eussent voulu les assujettir.
Et est entre autres choses considéré es dites lettres l'incommodité qu'ilz souffraient pour repousser les Anglois antiens ennemis de son Estat.
Ce sont les mots portez par icelles.
Cy vous remonstrent les suppliantz, que depuis l'obtention desdittes lettres d'exemption ilz ont tousjours, de temps en temps, aux changements des dues de ceste province, et depuis qu'elle est annexée a la couronne de France, des roy obtenu lettres de confirmation de leurs dictz privilièges et exemption, mesme du roy à présent régnant, du mois d'aoust de l'an 1626.
Et néantmoins encore qu'ilz ayent logé et fourny de touttes ustenciles nécessaires, l'espace de huictmois entiers, trays compagnies de gens de guerre, açavoir celles du baron d'Esplantier, du sieur de Toulongeon et sieur du Tancy, du régiment du seigneur d'Estissac ; ceux de ladite ville de Guerrande n'ont laissé de les faire cottizer par le séneschal de ladite ville au mois d'octobre dernier à payer chacun mois la somme de deux cent-deux livres dix soûlz pour ayder à la nourriture des soldats establiz en ladite ville de Guerrande : ce qui n'est soubz correction raisonnable, eu esgard a ce que devant : joinet aussi que deffunct monsieur le mareschal de Thesmines estant deubment assercioré (3) desdictes incommodités, leur dellivra lettres d'exemption le vingt et quatriesme d'octobre dernier, de la contribution et entretènement des deux compagnies qui cstoicnt dans ladite ville de Guerrande, et manda audit séneschal de ne mander aucun département sur eux pour raison de ladite contribution.
Comme aussi le roy leur avoit commandé par lettres du IXe du présent mois de se tenir sur leurs armes
pour repousser les Anglois au cas qu'ilz eussent voullu entrer dans la paroisse à la sortye de l'isle de Ré , pour lesquelles choses il leur a fallu, outre l'ordinaire, acheter plusieurs armes à leurz fraiz tellement que de les surcharger de payer encore par chaincun mois 202 livres 10 sols comme vendent faire les habitants de Guerrande quoy qu'il n'y soient tenuz, ce semit entièrement les ruisner et leur donner subject d'aller habiter ailleurs qu'en ladile paroisse de Saint-Nazaire.
Ce considéré, plaise à la cour voir lesdites lettres du duc Pierre du IV jour de novembre 1434, celles de Maximilien et d'Anne, roy et royne des Romains, ducs de Bretaigne, du XIX jour d'avril l'an 1489 (4), celle d'Anne, duchesse de Bretaigne, du 28e janvier l'an 1489, celle de Louys, roi de France, duc de Bretaigne, du mois de mars de l'an 1501, celle d'Henry, roy de France, du mois d'avril 1598, et celle du roi régnant Louys XIII, du mois d'aoust 1626 signée par le roy en son conseil, sur le reply Savary ; l'exemption du deffunt monsieur le mareschal de Thesmines, du 24 octobre dernier 1627, le commandement
du roy faict aux suppliants de se mettre en armes, etc., et la sentence donnée par le sénéchal de Guerrande en forme de département, des 21, 22 et 23 octobre 1627.
Et en conséquence maintenir et conserveries suppliants eu la jouissance et possession de leurs dicts droicts et privilèges.
Et ce faisant, faire prohibitions et défiances
tant aux officiers que habitans dudit Guerrande de les imposer et comprandre dans taxes et cotisations desdites levéees, et à tous huissiers ou sergens de procéder à auchunes contraintes, soit contre le général ou contre les particuliers dudit bourg de Sainct-Nazaire, soubz prétexte desdites impositions sur paine de mil livres d'amande et autres qui y escheoient.
Ferez bien.
Signé : Du Quellenec.
L'avocat-général René de Montigny (5), étudia l'affaire avec soin et écrivit simplement au bas de leur requête et le jour même (6) :
Veu la requéte, les lettres du cachet de roy, les|lettres patentes de Sa Majesté et l'arrest de vérification d'icelles obtenu par les suppliants, nous consantons les fins de la requéte. Faict au parquette vingt-neuf novembre 1627.
R. de Montigny.
Cependant les Guérandais argumentèrent que l'exemption du contribuer aux frais du leur garnison n'avait pas été comprise dans les privilèges royaux, et le Parlement rendit cet arrêt (7) :
Extrait des registres du Parlement.
Veu par la Cour la requeste des paroissiens de la paroisse de Saint Nazaire remonstrant que de tout temps immémorial, etc.
Lettres et privilèges et exemption dt. autres actes attachez a ladite requeste.
Autre requête desdits habittans de Guerrande à ce que lesfdits habittans de Sainct-Nazaire fussent condamnez à la contribution et département faict par le sénéchal dudit Guerrande pour la nourriture des soldatz ; Conclusions de l'advocat général du roy, et tout considéré,
La Cour, sans préjudice des privillèges desdits habitans de Saint-N'azaire eu autre temps et cas, et attendant le payement qu'il plaira au roy à devoir aux gens de guerre en cette province, a ordonné et ordonne que par forme d'estappes et sans tirer a conséquence, ils contribuent à la nourriture desdits soldatz suivant le département qui en sera faict par le Sénécbal de Guerrande, suivant les précédentz arrestz, sauf a se pourvoir pour la surcharge et excez à la taxe, sy aulcune est, ainsi qu'ilz verront.
Faict en parlement à Rennes le troisième décembre mil-six-centz-vintrt-et-sept
Malescot.
Résulta : les Nazairiens furent donc contraints de payer une part des frais de la garnison de Guérande...
(1) Relevé et retranscrit par René de Kerviler, op. cit.
(2) La marée allait parfois jusqu'au pied de l'église jusqu'à la réalisation des quais des Marées et de La Gournerie en 1877.
(3) Assercioré = vérifier.
(4) L'an 1491 d'après notre calendrier actuel, op. cit.
(5) René de Montigny, fils et petit-fils de gouverneurs de Suscinio et de la presqu'île de Rhuys, était un magistrat fort instruit qui fit souche d'avocats généraux et dont l'un des fils, poète aimable, chanoine de Vannes, puis évêque de Saint-Pol-de-Léon, devint membre de l'Académie française. Il avait succédé peu de temps avant à Paul Hay du Chastelet, nommé maître des requêtes de l'hôtel du roi, et appelé par Richelieu près de lui pour défendre sa politique par la plume, qui fut chargé de prendre les conclusions.
(6) Relevé et retranscrit par René de Kerviler, op. cit.
(7) Relevé et retranscrit par René de Kerviler, op. cit.