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caradeuc

  • Le château de Heinlex, deuxième partie

     

    De la famille Buard à la Révolution, l'affaire Caradeuc.

     

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    Écu sculpté dans l'église Saint-Nazaire, photo L.O.M.

     

     

    Armes : De gueules au hibou d'argent. Cet écu attribué à un Buard vivant à Nantes au moment de la grande recherches pour l'imposition des armoiries n'est en réalité pas les armes des Buard de Saint-Nazaire, qui en réalité n'avaient pas d'armoiries, elles ont été sculptées à tord sur l'une des voûtes de l'église Saint-Nazaire...

     

    I° Zacharie-Gabriel Buard, notaire royal à Guérande de 1730 à 1789, membre de la confrérie Saint-Nicolas de Guérande en 1732, acheta la seigneurie de Heinlex en 1749 à Louise-Germaine du Coudray, reçu en gratification des Etats de Bretagne une bourse de cent jetons en 1788, (A.D. d'I.-et-V., C, 3053), père de :

    1° Marie-Françoise, née à Guérande en 1734, dame de Heinlex, dont nous allons parler après.

    2°Marie-Gabriel, née à Guérande en 1743, fut la bienfaitrice de l'hôpital de Guérande en 1817, légua par testament du 21 mai 1819 sa maison (actuellement 5 place du Vieux Marcher) afin qu'elle servit de presbytère à la cure de l'église paroissiale de Saint-Aubin à charge pour le curé de " célébrer deux messes par mois à perpétuité à la mémoire de la donatrice et pour le repos de l'âme de ses parents ", et décéda en cette ville le 16 août 1822.

      

    En 1793, Marie-Françoise Buard, 55ans, dame de Heinlex, vit au manoir avec la demoiselle Marie Bellinger, native du Croisic et âgée de 50ans (1). Elles sont dénoncées pour avoir donner asile à des prêtres réfractaires, entre autres à un abbé Jalin, ex-desservant de la chapelle Saint-Joseph de Méans. Le poste militaire de Ville-es-Martin reçut l'ordre d'opérer une perquisition à l'improviste et la nuit. Le citoyen Perrin, sergent du 5° bataillon de la Manche, 8° compagnie, fut chargé de commander l'expédition. Le 20 novembre 1793 (30 brumaire, an II), sur les neuf heures du soir, le sergent Perrin, accompagné de 4 fusiliers et d'un guide se rend à Henleix, cernent la maison, visitent le jardin et l'intérieur du logis, mais ne trouve rien, le Sergent Perrin rapporte que " les deux demoiselles lui ont paru tremblantes et pâles et lui ont offert des rafraîchissements au commencement et à la fin des perquisitions ". Elles lui ont demandé " s'il avait beaucoup d'hommes à investir la maison, à quoi le dit citoyen a répondu qu'il en avait trente. " Le sergent rassemble ses hommes et dit à haute voix : " Il est inutile que nous fassions d'autres perquisitions ; Il paraît que nous avons été mal informés ". Ils quittèrent le Henleix, en présentant leurs excuses à ces dames, et reprirent le chemin de Ville-ès-Martin. Ce n'était qu'une feinte. Le sergent s'assure une escouade de seize hommes et, à onze heures et demie, on repart pour le Henleix où ils arrivent vers minuit. Huit hommes et le guide sont postés de distance en distance autour du bois avec le reste de ses volontaires, le sergent Perrin frappe à la porte de la maison. A travers une fissure, il voit les deux demoiselles qui viennent à pas lents leur ouvrir et disent avec plus d'assurance que la première fois qu'ils pouvaient faire chez elles toutes les perquisitions ce qui fut fait effectivement ; on trouva sur l'escalier du milieu un sac blanc contenant des livres et bréviaires à l'usage des ecclésiastiques. Le sergent s'adressant aux demoiselles : " où sont les deux hommes qu'on a vus la première fois ainsi qu'une des domestiques ? " Au même instant, on entend un coup de fusil du côté du jardin ; c'est une sentinelle qui a tiré sur un homme qui se sauvait. Celui-ci, poursuivi, se jette dans un fossé plein d'eau ; le guide l'atteint et lui pose sa baïonnette sur l'estomac ; un des soldats le tient enjoué par-derrière. Le malheureux, qui se débattait, écarte l'arme qu'il saisit à pleine main et entraîne son agresseur dans la mare. Les soldats arrivent, l'homme est pris et ramené dans la maison. Il est trempé, souillé de boue et glacé. Il se promène autour de la table pour essayer de se réchauffer. Il reproche aux volontaires leur inhumanité : on ne fusille pas, dit-il, des personnes qui ne font aucune résistance. Dans la matinée, on s'achemine vers Saint-Nazaire, où le juge de paix doit interroger le prisonnier. Celui-ci refuse de répondre, sous prétexte que le manque de nourriture et de sommeil ne lui permettent pas de subir les fatigues d'un interrogatoire. Il conteste toutefois avoir dit sérieusement au sergent qu'il venait de Noirmoutiers. Il ne l'a dit que pour " plaisanterie ". Sur-ce, le juge de paix lance un mandat d'amener contre les demoiselles du Henleix et dit qu'elles soient conduites, avec l'inconnu. Le juge de paix venait de clore son procès-verbal, lorsque les citoyennes Augustine Jamette, de Montoire, Elisabeth Glaud, Elisabeth Pierre et Julienne Le Breton, de Saint-Nazaire entrent dans l'auditoire et déclarent qu'elles reconnaissent le détenu pour être le citoyen Jalin ancien chapelain de Méans, paroisse de Montoire. Sommé de déclarer la vérité, le prisonnier répond que d'après des témoignages aussi multipliés et aussi fournis il lui serait inutile de contester et qu'il se voyait obligé d'y souscrire. Le lendemain (2 frimaire, an II), le prétendu Jalin est transféré à Savenay et enfermé dans la prison. Deux jours après (4 frimaire), il est interrogé par le citoyen Gourlay, commissaire délégué pour l'administration du département. Le prisonnier répète qu'il est François Jalin âgé d'environ 50 ans, ci-devant desservant de la chapelle de Méans, sans domicile fixe depuis environ 16 mois. Il ignore les motifs de son arrestation, il a vécu en se cachant chez des particuliers auxquels il taisait son nom, notamment dans les paroisses de Marzan, Billiers, Arzal, Camoel, Escoublac, Saint-Nazaire. Il ne connaît pas les deux femmes chez lesquelles il a été arrêté. On lui demande d'où lui proviennent les onze louis de 4 francs en or et les 18 livres en argent trouvés sur lui ainsi que les deux montres d'or, dont une à répétition. Il répond que ces effets proviennent de ses revenus et de ses épargnes. Le 5 frimaire, le prisonnier fut conduit, sous escorte, à Nantes et incarcéré dans la prison du Bouffay. Le 8 frimaire an II, huit jours par conséquent après son arrestation au Henleix, le prétendu prêtre Jalin comparaissait devant le tribunal révolutionnaire, sous la présidence de Philippes Tronjoly, assisté des juges : Normand, Le Peley, Lecoq et Le Davert-Gondet, accusateur public. (Séance de l'après-midi). Interrogé, le prévenu change de système. Il déclare qu'il n'a jamais été prêtre et qu'il n'est pas Jalin, l'ex-chapelain de Méans. Les quatre témoins, qui prétendent l'avoir reconnu, se sont trompés. Il se nomme François Pervoche, sans demeure fixe depuis un an, natif de Valenciennes. Il a perdu ses papiers à Paris, où il est demeuré huit mois. Il est sorti de Paris, il y a quatre mois et demi, muni d'un passeport que lui a procuré un ami... On fait venir des témoins de Montoir, dont le maire, Alexandre Clemenceau, âgé de 62ans et son petit fils qui a 11ans ! Tous le reconnaissent comme étant Jalin. L'accusé proteste de nouveau qu'il y a erreur et qu'il n'est pas le prêtre Jalin. Malgré ses dénégations, l'accusateur public, le citoyen Gondet, prononce son réquisitoire et conclut à une condamnation à mort contre le prêtre Jalin. Les juges allaient aux voix et déjà trois d'entre eux avaient successivement opiné pour la mort. Quant à ce moment-là l'accusé se lève et, interpellant le président Tronjoly, qu'il a connu à Rennes, et le juge Le Peley, ancien sénéchal de Guérande, qu'il connaît également, les somme d'attester qu'il est Michel-François Thomas de Caradeuc, de la Roche-Bernard, ancien juge criminel de Quimper, et membre de la Cour Supérieure provisoire de Bretagne ! Aussitôt, sans désemparer, l'accusateur Gondet se désiste de son accusation contre le prétendu prêtre Jalin, et s'empresse de fulminer un nouveau réquisitoire contre Thomas de Caradeuc " conspirateur royaliste, ayant commandé les brigands à l'attaque de Guérandc et du Croisic. " Les juges remirent la continuation de l'affaire à l'après-midi du lendemain (séance du 9 frimaire, an II), on allait établir l'identité de l'accusé et statuer sur inculpation. Huit témoins déclarent qu'il était bien Michel-François Thomas de Caradeuc. Le 9 frimaire, an II (29 novembre 1793) au matin, Michel-François Thomas de Caradeuc se procure une feuille de papier et écrit une lettre à sa femme, lettre qui ne fut jamais transmise, dans laquelle il raconte son procès, et où il informe sa femme qu'il a laissé, chez les demoiselles qui l'ont cachée, son épée et différents effets personnels, mais surtout une somme de 2400 francs sous la forme de 88 louis en or, et 11 en argent, la priant de donné la monnaie d'argent, d'une valeur de 288 francs aux demoiselles pour payement de sa pension, et de ne garder pour elle que l'or, d'une valeur de 2112 francs. Il précise que l'argent est enterré dans le jardin : " A droite, en sortant de la maison, suivre l'allée qui conduit à l'allée qui donne contre les étangs, qui mène aux abeilles, au commencement du carré d'artichauts, vis-à-vis deux pommiers ou poiriers formant la pointe du dit carré d'artichauts, le plus près de la maison au bord de l'allée du dit jardin, dite la plus près des étangs, le tout est dans un pot de terre, qui n'est pas enfoncé à un pied et demi. Ainsi en fouillant, en longeant le buis sur la partie même de cette allée, on ne doit pas avoir de peine à trouver ce dont il s'agit. C'est dès le commencement de cette allée, auprès des plates bandes de fleuri, qui règnent et conduisent de la maison à cette allée”. Dans l'après-midi il est condamné à mort. Il écrit alors une seconde lettre à son épouse :

    29 novembre, 9 heures du soir,  Mon sort est décidé, demain je n'existerai plus des personnes de confiance ont généreusement contracté l'engagement religieux de vous faire parvenir mes lettres, par sentiment d'humanité et d'intérêt à ma situation. Je joins ici mes boucles de jarretières à pierres, avec mon agrafe de col et un louis d'or. On m'a ôté mes deux montres et onze louis d'or et 18 en argent, que vous réclameriez inutilement. Priez Dieu pour moi.  Je me confie dans sa miséricorde. Je meurs pour mon Dieu et pour mon roy. Jetez-vous entre les mains de la Providence. Dieu seul doit être votre seul consolateur; rappelez moi à la tendresse de mes enfants. Je les recommande à la vôtre continuez à les élever chrétiennement. Adieu, ma tendre amie, sous peu d'instants, je ne serai plus. Je serai réuni, avec tant d'autres victimes, au père céleste. Je vous embrasse de tout mon cœur. Le courage ne me manque pas. Je vois la mort de sang froid. Je vais désormais m'occuper de Dieu seul, qui ne désavoue pas les instants que mon attachement pour vous lui a dérobés :   Adieu ! Votre époux.  Thomas de Caradeuc.

     

    Le 30 novembre 1793 Michel-François Thomas de Caradeuc fut guillotiné place Bouffer à Nantes. Ses lettres et derniers biens ne sont jamais parvenus à la pauvre femme laissée veuve avec quatre enfants, depuis un mois, elle était elle-même incarcérée à Vannes comme suspecte, avec plusieurs de ses parents de la Roche-Bernard. Les courriers furent remis au Directoire de Nantes qui ordonna au district de Savenay de récupérer l'argent, Un commissaire et le commandant Bedel furent chargés de l'expédition dans le jardin du Henleix, ils trouvèrent le trésor à l'endroit indiqué, mais rapportèrent qu'il se trouvait " 24 livres de moins... "

     

    Les femmes qui avaient identifié Michel-François Thomas de Caradeuc comme étant le père Jalin, furent conduites à Nantes. Les juges statuèrent :

    " Considérant qu'il est très possible que les quatre accusées se soient trompées, en assurant sur la foi du serment que la personne de Thomas dit Caradeuc était celle de Jalain, prêtre desservant la chapelle de Méans, en la commune de Montoir, puisqu'il est vrai que différents particuliers sont tombés dans la même erreur, attendu la parfaite ressemblance entre Thomas dit Caradeuc et Jalain ;  En conséquence les acquitte de l'accusation portée contre eux et ordonne qu'ils soient sur le champ mis en liberté. "

    Il n'en fut pas de même pour les demoiselles Buard et Bellinger... Au bout de six semaines de détention, le 17 nivôse an II (6 janvier 1794) le tribunal rendit pour jugement :

    " Déclare et reconnaît pour constant que Marie Bellinger et Marie Buard ont retiré chez elles Thomas Caradeuc, chef de brigands, condamné à la peine de mort .... qu'elles lui fournissaient la pension alimentaire ; que c'est dans Ie jardin que Thomas Caradeuc avait enfoui en terre de l'or, de l'argent et effets, lui appartenant ; que leur liaison avec un pareil homme, aussi ennemi de la République, les fait considérer comme personne dont l'incivisme serait très préjudiciable à la chose publique, si plus longtemps elles continuaient à habiter le sol de la liberté ; Les a déclarées atteintes et convaincues des dits faits et conformément à la loi du 7 juin dernier, les a condamnées à la peine de la déportation à vif, et a déclaré leurs biens confisqués. "

     

    Confisqué par le Directoire, le domaine fut vendu aux enchères et fut acheté par un monsieur Havard qui le transmit à son fils et sa fille (connus sous le nom de Havard-Duclos). Ceux-ci vendirent la propriété en 1857 à Alphonse Cézard.

     

     

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    Cadastre de 1829, A.D. 44

     

     
    (1) elle était la fille d'Ollivier Bellinger, et d'Aimée Maillard, (de la famille du poète  Aimée B., fille de feu B. et d'Aimée Maillard (de la famille du poète Desforges-Maillard), elle était venue vivre à Heinlex avec sa sœur Aimée, qui y décéda le 27 mai 1791 (cf. Registres paroissiaux de Saint-Nazaire et René de Kerviler " Répertoire général de bio-bibliographie bretonne" 1899).