Durant le printemps et l’été 1929, paru dans Le Petit écho de la mode son roman « Cœur promis », sous forme de feuilletons. L’histoire début au Maroc et raconte les mésaventures d’une femme dont le fiancé connait des déconvenues d’accusations mensongères et d’une erreur judiciaire qui le ruinent et les obligent à s’établir à Saint-Nazaire où ils arrivent par un mauvais jour d’hiver. Le personnage principal exprime dans le texte sa déconvenue climatique et le choc culturel qu’elle ressent entre le Maroc et le port breton. La description de la ville y est cruelle, désignée comme « triste », mais proche de la réalité quand on sait ce qu’était la ville d’alors et que l’on compare avec les textes des autres romanciers ayant vécu ou séjourné à Saint-Nazaire avant la seconde-guerre-mondiale.
L’auteur de « Cœur promis » est Saint-Cygne, de son identité véritable Jeanne Perdriel, née Vaissière, (Ajaccio 17 janvier 1870 - Paimpol 23 mars 1951), qui vécue la plus grande partie de sa vie à Brest où elle tient salon littéraire durant plus de vingt ans, y réunissait les grands auteurs bretons d’alors. Poétesse et romancière, ses romans sont essentiellement des histoires d’amour dans lesquelles se torturent les méninges des femmes déçues. Saint-Cygne est totalement oubliée de nos jours, ses textes sont cependant d’un style agréable et qui a dans l’ensemble plutôt bien vieilli.
Quand en août 1929, la journaliste nazairienne Jacqueline Bruno, (René Bernard, fille du directeur du Courrier de Saint-Nazaire), lu la description amère que Saint-Cygne faisait de la ville, son sang ne fit qu’un tour, et elle rédigea un article paru le 18 aout 1929, intitulé « Coup d’éventail », (référence au nom donné à l’événement qui donna prétexte à Charles X d’envahir l’Algérie et de ne pas rendre au Bey d’Alger l’argent qu’il lui avait emprunté). Le coup d’éventail de Jacqueline fut un long plaidoyer ventant l’été à Saint-Nazaire et sa douceur de vivre loin des falbalas de La Baule, pour contre balancer l’hiver sinistre décrit par Saint-Cygne. Un cri de révolte finissant par : « Saint-Nazaire triste ! Gris ! Laid ! Ah ! Saint-Cygne comme vous le calomniez ! ».
Saint-Cygne demanda un droit de réponse, paru dans le numéro du 1er septembre 1929 du Courrier de Saint-Nazaire, dans lequel elle défendit son roman en argumentant que la parution en feuilletons avait amené à des coupes de texte qui ne serait dans son intégrité que dans la parution en librairie. Ces descriptions vantent le quartier du Vieux-Saint-Nazaire, (à l’emplacement du Petit-Maroc), le Port, la Place Marceau (emplacement du Ruban Bleu), le remblai, et le roman se finit par un regret profond de l’héroïne de quitter une ville qu’elle a finalement apprise à aimer.
Jacqueline Bruno en pris note, et rangea son éventail.
Droit de réponse de Saint-Cygne paru dans le Courrier du 1er septembre 1929, cliquer pour agrandir.
Cette anecdote historique appel cependant à se poser la question suivante : Saint-Nazaire est-elle littéraire ?
Un ouvrage collectif, publié en 1992 par les éditions Autrement, intitulé « Saint-Nazaire port de toutes les littératures », chercha à nous en convaincre. L’ouvrage voulait ouvrir un horizon nouveau, soulignant qu’on ne pouvait réduire à la ville à son port et ses chantiers, mais qu’il y avait bien quelque chose qui s’y passait culturellement, autant qu’urbanistiquement.
Quand cet ouvrage fut rédigé, Saint-Nazaire allait bien, elle se réinventait, s’embellissait avec plus ou moins de réussite, avait depuis 1987 son festival du roman policier, (Festival du crime devenu Festival Délits d'encre), assassiné après son édition de 1997, et depuis ressuscité à Saint-Brévin. Et puis Saint-Nazaire pouvait s’enorgueillir de posséder depuis 1987 une maison d’écrivain, la MEET, (Maison des Écrivains Étrangers et des Traducteurs), grâce à Christian Boutemy, secondé par des nazairiens et des écrivains sud-américains, qui en association donna le jour à ce merveilleux bébé qui reçu l’aide de la Mairie et du Ministère de la Culture. La publication « Saint-Nazaire port de toutes les littératures » venta alors les institutions culturelles alors existantes sur place, voulu venter l’Écomusée qui n’avait pas encore été atteint d’AVC, et, sous la plume de Luc Douillard, fit la liste des écrits d’auteurs connus, ou oubliés, mentionnant Saint-Nazaire dans un ouvrage, un journal intime ou une correspondance. Journal intime et correspondance n’étant pas par nature destinés à la publication, on sourit de voir mis au même rang et sans séparations dans la présentation aux côtés des extraits de romans ; erreur que n’a pas reproduit la MEET dans son ouvrage « Saint-Nazaire est littéraire », qui mêle extraits de textes d’auteurs anciens et d’auteurs qu’elle a logé.
Constatons une chose : quatre ou cinq auteurs cités dans les deux ouvrages expriment un enthousiasme pour Saint-Nazaire. Les auteurs cités dans « Saint-Nazaire port de toutes les littératures » parlent de la ville comme d’un lieu sinistres, noyée sous la pluie, à la population enivrée. On peut aussi pousser dans les cordes en s’étonnant du très petit nombre de texte rassemblés alors que celui des auteurs depuis 1987 est énorme.
Les auteurs de la MEET dont les textes ont été repris dans « Saint-Nazaire est littéraire » n’ont pas de jugement négatif, mais on en ressent à leur lecture une impression d’étouffement, sentiment renforcé par le choix iconographique qui donne envie de se suicider si on les fixe trop longtemps, et font tristes pendants aux photographies de l’Office du Tourisme sur lesquelles population et ciel ont la jaunisse en raison d’une mauvaise maitrise de Photoshop. Les descriptions faites de la ville n’y dépassent pas le port, la base allemande, le Petit-Maroc et son pont levant, au plus loin la gare. Le pont de Saint-Nazaire pourtant visible depuis le balcon de l’appartement y est inexistant, comme la Loire, l’Océan, et les plages. Plus grave, dans une lettre du poète chinois Hu Dong, à destination de l’écrivain Ronaldo Menendez, et reproduite sur le site de la MEET, celui-ci affirme : « Tout le feng-shui est dans le port, la ville en est la triste arrière-cour. » Ce jugement choque les Nazairiens, mais il faut expliquer que les personnes invités à la MEET ne voient pas autre chose que l’appartement du 10ème étage du Bulding, et ses abords immédiats. Même quand les auteurs sont invités pour quelques jours et logés en groupe dans un hôtel, on limite leurs déplacements au seuls lieux mentionnés. Saint-Nazaire, pour la MEET, c’est un appartement au charme rétro de la fin des années 1980, où seule la machine à écrire à disparue, un port, et trois bars et restaurant. On décourage l’invité à s’échapper. Nourri-logé, alcoolisé au muscadet, (un poète belge en finit en coma éthylique de retour dans le TGV en 2015), l’invité aurait mauvais goût de se plaindre de ses conditions de vie nazairiennes. Les confidences au cours d’un souper à Beyrouth, Istanbul ou Buenos Aires, où sur l’oreiller dans l’appartement de la MEET, révèlent cependant un sentiment de déception et d’horizon bouché.
Certes la plupart des écrivains sont ingérables, franchement perturbés, presque tous narcissiques malgré un effort de sociabilisation relative, motivé surtout par le besoin de se nourrir de la vie des autres pour alimenter leur écriture, et à Saint-Nazaire ils ne sont pas en vacances : ils doivent écrire, laisser un texte rapidement rédigé. Majoritairement ceux-ci laissent à la publication de la MEET un extrait de leur travail en cours, rarement quelque chose à propos de Saint-Nazaire dont ils ne font pas la connaissance.
Aussi, n’en déplaise à la MEET, je suis de ceux qui réfutent que Saint-Nazaire est littéraire. Saint-Nazaire ne l’est pas car il n’offre pas la matière à écrire à son propos des romans, et à peine peut-il servir de décors. Les ouvrages qui situent une part substantielle de leur action à Saint-Nazaire sont rares. Deux romans récents s’y déroulent entièrement : « La mauvaise fortune » d’Olivier Delagrange ; et « Calculs sévères à Saint-Nazaire » de Rémi Devallière. C’est une aberration, il y a des ports bien plus désagréables que Saint-Nazaire qui sont les lieux d’aventures multiples, mais Saint-Nazaire a toujours collé à la peau l’image et l’atmosphère d’un port poisseux et moribond et rien n’est entrepris pour que cela change. Les Nazairiens ont beau s’en insurger, cela ne pénètre pas les croisons des cerveaux des gens qui ont pouvoirs et moyens de changer ce sentiment. Il y a une compétence collective chez ceux qui compose la classe dirigeante à nous faire passer pour des gens incapables de voir par-dessus le parapet du remblai. Cela contribue d’ailleurs à ce que les publications nazairiennes ne dépassent pas les limites d’un petits cercles, (les ouvrages de la MEET sont presque introuvables en dehors d’une commande sur le site, même les libraires et bouquinistes de la ville n’arrivent pas à les vendre, au point d’oublier sur quelle étagère ils les ont remisés), et les éditeurs, qu’ils soient parisiens ou bretons, disent en écho « une histoire qui se déroule à Saint-Nazaire, si ce n’est pas du policier où un drame, ça ne trouvera pas de lecteur ». Certes, la MEET n’a pas le devoir de faire du commercial, elle se doit de donner une visibilité, même infime à des auteurs qui ne sont pas connus en France, parfois à peine dans leur pays, la MEET c’est du mécénat culturel, et probablement l’un des derniers en littérature en France. Les éditeurs français ne font plus que du commerce en vendant de la littérature au mètre : la longueur maximum d’un roman doit correspondre à un temps de lecture identique à la durée du trajet TGV Paris-Montpellier. La publication d'un auteur étranger n’est faisable que si dans sa langue il a déjà bien vendu. Espérons que tout cela change rapidement.
Saint-Nazaire n’est pas littéraire, Saint-Nazaire est lieu d’écriture, c’est différent. Saint-Nazaire est le lieu idéal pour écrire pour peu qu’on élargisse le droit de circuler au-delà du port. La ville offre la possibilité de la réflexion, de l’intériorité nécessaire à la composition et à la maturation de l’écriture.
Vous pouvez écrire sur n’importe quel sujet, mais vous ne le ferez bien qu’en étant éloigné de l’objet de votre prose. Que ce soit Orhan Pamuk qui parle exclusivement d’Istanbul, mais depuis les iles aux Princes ; Jabbour Douhaily de Beyrouth depuis Tripoli ; ou feue Silvina Bullrich qui affirmait « Ma ville, les maisons, le cimetière de Recoleta … Au-delà de tout elle est cimentée à ma vie et mon travail. Par Buenos Aires et à Buenos Aires je vous écris mes mémoires. Pour toute l'Argentine peut-être … », le faisait en réalité physiquement depuis Genève en laissant son âme à Buenos Aires. L’éloignement doit avoir lieu pour donner vie à l’écriture. On serait surpris de savoir le nombre d’écrivains qui choisissent de venir anonymement se retirer un temps à Saint-Nazaire pour être capable d’écrire, alors qu’on s’attendrait à les apercevoir à La Baule, et qui disent : « je viens ici pour écrire ».