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Du casino de Saint Nazaire au Collège Saint-Louis, 1ère partie

À la fin du 19e siècle, Saint-Nazaire n’était pas uniquement un port d’où l’on partait vers les Antilles et l’Amérique Centrale, c’était aussi une station balnéaire. On y prenait les bains de mer à La Villès-Martin, à Porcé, à Saint-Marc, à Sainte-Marguerite et Pornichet (Pornichet n’est devenu une commune qu’en 1905) et aussi au Grand-Traict, que l’on désigne aujourd’hui comme « plage du centre-ville »

Sur cette plage du Grand-Traict,  qui n’était pas encore envasée à cause des brise-lames de la Nouvelle-entrée, il y avait un établissement nommé d’après celui de son propriétaire : « Les Bains Jaguin ». Le boulevard Albert Ier n’existait pas encore ; le boulevard de l’Océan, (qui devint Wilson en 1925), stoppait à l’angle de l’avenue de Lesseps et du bois de pins planté pour fixer les dunes, et qui  ne deviendra qu’à partir de 1887 le Jardin des Plantes. On était alors à l’extérieur de la ville, le quartier du Sable (avenue de La Havane) commençait à être loti, il ne le fut véritablement qu’au milieu des années 1930.

 

Les Bains Jaguin étaient un baraquement de bois tout en longueur, contenant une salle de café, avec à chaque bout un vestiaire par sexe. Une fois changé, on allait, sous la surveillance d’un maitre-nageur, prendre son bain en suivant une ligne de corde fixée à des poteaux plantés dans l’eau, ou en s’y immergeant depuis un ponton qui s’aboutissait par quelques marches descendantes dans les flots.

 

En 1896, la municipalité décida de prolonger le Boulevard de l’Océan. Désireuse de développer le caractère balnéaire de la commune, elle entraîna la destruction des Bains Jaguin, et permit la création d’un casino qu'on baptisa l’établissement de jeux : « Grand Casino des Mille Colonnes ».

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Le projet de 1896 était aussi ambitieux que son nom l'indiquait. Sur le vaste quadrilatère qui correspond aujourd’hui au Collège Saint-Louis, mais aussi au Skatepark et au lotissement contigu, jusqu’à la rue Severine, devaient s’élever un casino avec salle de spectacle et restaurant, un bain turc, un hôtel, une plage privée avec des cabines, des écuries et remises pour les chevaux et un service d’automobiles qui aurait dû faire les taxis jusqu’au Croisic, le tout dans un vaste jardin agrémenté.

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Une voiture taxi devant le casino

 

La ville créa aussi une ligne d’omnibus Gare-Villès-Martin avec un arrêt devant le complexe.

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L'omnibus devant le casino

 

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Le bâtiment des bains turcs

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Le Casino, avec son théâtre et ses bains en 1899, Plan d’alignement et de nivellement de Saint-Nazaire. Feuille 1 ; A.D.44 1 Fi Saint-Nazaire 9 / 3

 

Monsieur F. Grailhes, initiateur du projet, et propriétaire en propre du casino, avait pour le reste trouvé plusieurs associées, dont Maxim Audoin (1858-1925), le directeur du journal Le Goéland, qui devait diriger la partie voiturage.

La direction et l'animation furent confiées à Henri Villefranck, de son vrai nom Henry-Donat Francqueville, (Arras 1er octobre 1849 - Strasbourg septembre 1928), un artiste lyrique qui fut auparavant directeur du Théâtre Municipal de Dijon de 1889 à 1891, puis du Théâtre Municipal de Reims de 1891 à 1898. La critique et le public lui reprochèrent de ne produire pour le théâtre que «  des banalités ». Il resta en poste à Saint-Nazaire jusqu’en 1899, préférant alors prendre la direction du Grand-Théâtre de Nantes. Il fut remplacé par messieurs Bach et Bourdillat.

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Publicité pour le Casino dans l'annuaire général de Loire-Inférieure de 1898.

 

Un cercle, Le Cercle du Grand Casino des Mille Colonnes, sera autorisé par décision préfectorale le 22 juin 1898, mais disparaitra en 1907.

 

L’entreprise, malgré la diffusion de nombreux articles élogieux dans la presse, ne vit réaliser que le casino avec salle de café et restaurant, un salon rouge et un salon bleu qui servaient d'antichambres au restaurent, la salle de théâtre, le bain turc, les écuries, dans le prolongement du casino, et la plage privée avec ses cabines, qui était reliée au casino par un souterrain aujourd’hui bouché mais dont l’entrée est encore visible dans les maçonneries du remblai. Cette plage, munie de cabines telles qu’on peut encore en voir sur l’île du Lido à Venise, fut anéantie par un mini raz-de-marée en août 1904, et jamais rétablie.

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La plage du casino avec ses cabines

 

 Le jardin ne fut jamais réalisé, et l'ensemble donnait à l'arrière sur un terrain vague accidenté de dunes et d'herbes.

 

 

Le casino se composait au premier étage d’une salle centrale où était le café, donnant sur la colonnade.  En entrant, à gauche était la salle du restaurant précédée du salon rouge, et gauche une salle dite « salon des petits-chevaux », du nom de la machine de jeu de hasard placée comme une roulette en bout de table, qui se composaient de figurines de chevaux avec jockeys, fixés sur des rails dans une imitation d’hippodrome, et qui tournaient sous les paris grâce à un mécanisme actionné par le croupier. Ce jeu rassemblait des paris à 5 ou 30 centimes, et était le seul jeu de casino autorisé, aux femmes, (ou du moins toléré), par la circulaire du 13 novembre 1886.

Le jeu, principalement le baccara, se faisait dans la grande salle de l’aile à droite de l’entrée. On y jouait sous la surveillance d’un commissaire, et une tenue élégante y était de rigueur. Les femmes pouvaient entrée dans cette salle si elle était accompagnée d’un homme, mais il leur était interdit de parier, ni même de tenir les cartes de leur époux.

La salle de restaurant accueillit à l'heure du souper le banquet de 300 personnes donné en l'honneur du président Félix Faure, venu à Saint-Nazaire le 22 avril 1897 dans le cadre de son Voyage dans l’Ouest, (de Nantes à la Rochelle du 19 au 28 avril 1897). Accompagné des ministres de l'Intérieur et de la Marine, il inspecta les travaux de la Nouvelle Entrée, visita les chantiers et l'hôpital, (on avait élevé pour l'occasion des arcs-de-triomphe en bois et plâtre le long du parcours présidentiel).

À l’arrière du casino se trouvait la salle de théâtre, qui servait à la fois pour des spectacles, des concerts, mais aussi pour des conférences, (Jean Charcot en fit une en 1903), et même les remises de prix des écoles.

 

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Sortie d'une distribution de prix des écoles

 

Quoique certaines célébrités de la chanson et de la musique de l’époque soient venues s’y produire, et qu’il fut situé aux abords immédiats de l’agglomération, le casino ne fut jamais totalement rentable. En 1904, F. Grailhes vendit l’établissement moribond. Il était aussi pris dans le scandale d’un meurtre commis en 1903 par un habitué de son établissement, un dénommé Largeteau, jour compulsif, ancien employé des contributions, chassé de l’administration pour malversations, avec qui il entretenait des liens d’amitié. Largeteau fut accusé d’avoir tué la veuve Deceroit, née Marie Houstin, une rentière de la Haute-Saône, âgée de 43 ans, en vacances à La Baule. Connue sous le nom de « Crime du Grand-Marais », car c’est dans ce lieu nazairien que l’on découvrit, coincé sous un trépied qui devait le maintenir immergé, le corps de la malheureuse, cette affaire secoua profondément la ville, et provoqua toutes sortes de rumeurs et de lettres de dénonciation. Largeteau fut acquitté faute de preuves, mais le mal avait été fait et la rumeur resta persistante surtout après la découverte une fois le jugement rendu des valises de la veuve Deceroit maculée de sang, envoyée en consigne à Paris depuis Saint-Nazaire. Or à l’époque on ne rejugeait pas les affaires criminelles.

Une campagne de presse annonça en 1904 le changement de propriétaire avec promesses de nouveaux jeux et spectacles ; monsieur Brière en fut alors le dernier directeur.

 

Le lundi 23 septembre 1907, à l’occasion des festivités données pour l’inauguration de la nouvelle entrée, le déjeuner officiel du premier jour fut organisé au casino par la mairie et la préfecture. En grandes pompes y vinrent y assister : Aristide Briand, alors ministre de l’Intérieur, Gaston Thomson, ministre de la Marine, et Louis Barthou ministre des Travaux publics[1], différents officiels, plusieurs invités appartenant à l’élite municipale, et d’autres personnes désignées non sans ironie par Henry Moret, comme « des souscripteurs qui avaient réussi à se procurer des cartes [2]». Au dessert le maire, Baptiste-Auguste Lechat, puis Aristide Briand, prononcèrent discours.

 

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Le 10 juillet 1910, un autre banquet officiel eut lieu au casino en présence d’Albert Sarrault, sous-secrétaire d’État à la guerre, venu inauguré le monument aux morts de 1870.

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L’établissement finit par fermer à la fin de l’année 1911, et se dégrada rapidement sous l’effet des tempêtes et de l’air marin. Les repas officiels furent alors donnés au Grand Hôtel, et cela jusqu’aux bombardements.

 

L’armée requestionna en 1914 les lieux. Transformé en caserne, puis, un temps en hôpital militaire.

 

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Au temps de l'occupation militaire française

 

Sur le vaste terrain de l’établissement et ses abords, les autorités françaises avaient établi le dépôt pour les chevaux et les mules que firent débarquer les troupes britanniques depuis l'Argentine et le Canada. En avril 1917, les troupes étasuniennes prirent possession des lieux avec leurs propres chevaux et mulets. Au total, sur le terrain du casino de Saint-Nazaire, ce furent 160.000 chevaux et 68.727 mulets qui transitèrent.

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Débarquement d'un cheval des troupes anglaises sur le port.

 

Quand les troupes étasuniennes partirent, en 1920, le bâtiment était dans un état lamentable. Les portes avaient presque toutes disparu. L'ancien casino devint un squatte pour tous les sans-logis de l’agglomération.

 

En 1922, monseigneur Le Fer de La Motte, évêque de Nantes, fit acquisition du complexe et y fonda le collège Saint-Louis. (À suivre…)

 

[1] Louis Bathrou décéda en 1934 à Marseille, victime d’un terroriste qui visait le roi de Yougoslavie. Il fut le patient régulier du docteur Raffegeau, médecin qui soignait les états dépressifs, qui légat aux Nazairiens le château des Charmilles à Porcé.

[2] Henry Moret, « Histoire de la ville de Saint-Nazaire ».

Commentaires

  • Superbe article bien documenté ! Merci

  • Très intéressant. Merci. Vivement la suite !

  • Superbe article très bien documenté ! Merci

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