1643-1646, les Nazairiens en procès contre le fermier-général Le Noir de La Robinnière
Le 7 janvier 1641, le maréchal de La Monneraye, lieutenant-général de Bretagne, et qui venait de battre les Espagnols à la bataille d'Hesdin, fit annonce de la levée exceptionnelle d'un impôt sur les alcools, (vin, cidre et eau-de-vie), fameux droit de billot dont nous avons déjà parlé, et dont les Nazairiens étaient exemptés. Voici la lettre du maréchal (1) :
Devant nous, Jan Monneraye et Jan Gaudé, conseillers nottaires segrétaires du roy, maison et couronne de France, ont personnellement comparu hault et puissant seigneur messire Charles de La Porte, seigneur de La Melleraie, chevalier des ordres du roy, conseiller en ses conseils, grand maistre de l'artillerye, maresehal de France, lieutenant général pour Sa Majeste en Bretaigne et en ses armées, commissaire général envoyé pour la tenue des Estaz dece pais et duché de Bretaigne convoqués eu assemblées par authoritté du roy en ceste ville de Rennes par lettres patantes du 14e de novembre dernier, Nosseigneurs les autres commissaires de Sa dite Majesté, d'une part.
Et Messieurs tes deputtés desdits Estats soubsinez. d'autre part ;
Autre lesquels ont esté a vordez les articles cy après, savoir c'est, que les dietz sieurs des Estats ayant délibéré sur les dictes lettres patantes, propositions et demandes par eux faictes par nosdicts seigneurs les commissaires, ont accordé et donné au roy pour subvenir aux urgentes nécessités de ses affaires présantes, et secours extraordinaire pour la despance et faictz de la guerre, la somme de deux millions quatre cent mil livres (2400000 L.) paiables en six quartiers égaux, scavoir les quatre de l'année présante 1641 et les deux premiers quartiers de l'année prochaine 1642 ; pour le paiement de laquelle somme de 2400000 Livres ont consent y qu'il soit imposé et levé sur le vin et cidre et aultres breuvages qui seront vandus en destail en cette province en ces années 1642 et 1643 à commancer au premier jour de janvier 1642, quatre soulz pour six deniers pour pot de vin de cru du pais qui sera transporté hors la province qui sera vandu par le menu et destail esdites deux années : deux soûls huict deniers pour pot de vin du cru du pais qui sera transporté d'évesché en aultre pour y estre consommé ; ung soult quatre deniers pour pot de vin du cru du pais qui sera cousommé et , évesché où il croist ; et huict deniers pour pot de cidre et de Lierre ; le tout vandu et desbitté en destail en ceste province,chacunne pippe atantée (2) A deux cent pots ; et aultres six soulz par chacun pot d'eau-de-vye qui sera pendant les dites deux années pareillement vandu en destail en icelle ;
Desquels debvoirs ont esté faict bail en leur assemblée au plus offrant et dernier enchérisseurs (3) le 4e jour des présans mois et ans, aux conditions y rapportées, à la somme de 2600000 livres pour estre paiée par les adjudicataires entre les mains de leur trésorier en la ville de Nantes ; scavoir... etc.. pour estre par ledit trésorier employé sans divertissement à l'acquit des dettes, nécessités et autres desdits sieurs des Estats suivant l'ordre qui luy sera prescript par les estais qui lui seront délivrés à cette An, etc., etc.
Duquel devoir nul ne se pourra prétandre exempt pour quelques previlleiges qu'il puisse avoir à raison d'office ou contentement ; et au casque quelqu'un fist difficulté de paier lesdits devoirs soubz prétexte de previlleige, pourront les fermiers se pourvoir contre les préteindans tadicte exemption au Conseil du roy, en ce cas seullement, oit nosdits seigneurs les commissaires promettent s'emploier pour leur faire randre justice.
Ne se fera auchune modification à la vérification du présent contrat, et s'il en estoit faict, nosdits seigneurs les commissaires promettent faire obtenir auxdits sieurs des Estats touttes lettres de jussions à ce nécessaires... etc., etc.
Faict et gréé en l'hostel de mondict seigneur de la Melleraye en ceste ville de Rennes le 7e jour de janvier 1641.
Signé : Monneraye et Gaudé...
Les Etats de Bretagne, qui réunissent tous les deux ans dans une ville différente les élus des trois ordres (clergé, noblesse, tiers état), étaient, en vertu du Traité d'Union, la seule autorité habilitée à voter les impôts. Rappelons qu'en vertu du Traité d'Union signé en 1532, le Duché jouissait d'immunité particulière, et bénéficiait d'une sorte de régime constitutionnel, faisant que le roi de France n'avait jamais le droit d'y lever des impôts. Lorsque le ministère avait besoin d'argent, il s'adressait aux Etats, eux seuls pouvaient, après discussion des propositions royales, accepter les nouvelles impositions jusqu'à concurrence d'un chiffre déterminé, et rendre les rôles exécutoires. Les négociations faisaient l'objet d'un procès-verbal contradictoire qui portait le nom de « Contrat des Etats avec le Roi ». Or le contrat de 1640 contenait une clause qui impliquait dans ses termes l'abolition de tous les privilèges, et grand fut l'émoi dans toutes les paroisses qui jouissaient d'immunités spéciales. cependant on avait voulu seulement armer les fermiers de l'impôt contre les privilèges peu réguliers, et la porte était laissée ouverte aux recours en confirmation pour ceux qui pouvaient justifier de droits anciens et bien authentiques : c'est pourquoi l'on institua des commissions de révision de tous les titres d'exemption d'impôts. Les recours étaient assujettis à une multitude de frais administratifs, mais ceux-ci étaient moins onéreux que la perception directe du droit sur les alcools.
Les Nazairiens durent alors à défendre leurs privilèges. Au mois de mai 1642, une assignation fut lancée contre plusieurs débitants de la ville et propriétaires de vignobles de la paroisse, pour avoir à payer immédiatement le devoir de billot, à la requête de Le Noir, sieur de La Robinnière, faisant pour le fermier général de l'évêché de Nantes. Une autre sommation, due à Georges Martin de la Sautdraye, sénéchal de Guérande, les assigna eu même temps « pour veoir jurer et prester le serment à ung commissaire que ledit Lenoir entend faire jurer, pour assister avecq les commis à la marque du terrouer de Guérande, à la visite et marque que font journellement lesdits commis aux caves et scelliers desdits taverniers ; et pour éviter aux abus et aux malversations que pourraient commettre lesdits commis avecq lesdits taverniers, etc. (4) »
Les privilèges des Nazairiens étaient connus de tous, et l'on s'attendait à ce que les intéressés refusent de payer, le sergent royal avait rédigé d'avance la minute entière des deux assignations, ne réservant que les deux dernières lignes pour la constatation de la remise et pour la signature.
Devant ces procédures il fallut bien s'exécuter, et le 19 septembre 1642, les Nazairiens, représentés par le procureur et marguillier de leur paroisse, Philippe Bernard, sieur de La Carioterie (5), se pourvurent d'un vidimus en règle de ses privilèges devant le sénéchal de Guérande, comme nous l'expliquerons dans le prochain article.
(1) Relevé et retranscrit par René de Kerviler, op. cit.
(2) Attenté : fixé à quantité.
(3) On adjugeait alors la perception des impôts en les affermant, d'où le nom de fermiers pour les percepteurs.
(4) Relevé et retranscrit par René de Kerviler, op. cit.
(5) La Carioterie est fief situé à Saint-André-des-Eaux.