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  • Saint-Nazaire est un roman sans fiction

    Il ne vous aura pas échappé que les éditions du Seuil ont publié un nouvel ouvrage de Monsieur Deville, titré « Saint-Nazaire est un roman sans fiction ».

    Ce 16 novembre 2024, j’ai accompagné l’une de nos plus minutieuses passionnées hagiographes de Saint-Nazaire à la discussion organisée dans le cadre de Meeting, entre l’écrivain bolivien Rodrigo Hasbún et Patrick Deville, personnalité locale que l’on ne présente plus.

    J’ai lu le livre de Monsieur Deville avant d’aller à cette discussion, je n’étais pas le seul, et toutes les personnes qui aiment viscéralement Saint-Nazaire et qui s’intéressent à son histoire et à ses particularités étaient fâchés et m’ont demandé mon avis.

    Il n’est pas dans mes habitudes de commenter les publications qui ce veulent être un récit historique (même partiellement) de Saint-Nazaire. Les publications des dix dernières années, qu’elles soient associatives, d’un historien autoproclamé[1], ou municipales, étant catastrophiques à 90%, tant sur le fond et la forme, dépourvus de sources tout en étant des resucées des publications fautives des précédents augmentées de nouvelles erreurs et d’interprétations fautives (de grâce, arrêtez de recopier Fernand Guériff et ses inepties !). Mais dans le cas présent, l’ouvrage de Monsieur Deville dépasse les 400 exemplaires des tirages de hagiographies locales, qui rendent les publications obscures sur le marché de l’industrie littéraire, Le Seuil est une maison qui promeut ses auteurs à l’échelle nationale, et parfois internationale, et depuis deux semaines un grand battage publicitaire est fait dans la presse nationale et régionale pour ce livre. Il contribue donc à l’imagerie de Saint-Nazaire hors les murs de la cité, ce qui n’est pas rien, et mérite qu’on le commente, car après tout c’est l’image des Nazairiens qui est livrée aux lecteurs francophones avec cette parution.

     

    Monsieur Deville n’est pas un historien, c’est un écrivain qui fait le récit de ses expériences et de son quotidien, et qui produit aussi des romans. Je ne m’attends donc pas de sa part des travaux de recherches et une étude historique. Monsieur Deville donne de Saint-Nazaire sa vision, celle de son monde à lui, entre le Building, l’ancien Skipper dont le changement de propriétaire l’a visiblement traumatisé, et le bar La Bretonne au marché, avec omission de ses années professorales, les petits Nazairiens lui ayant, semble-t-il pas laissé bon souvenir. Ce n’est pas nouveau, c’est une vision figée qu’il clame depuis des années, une vision qui lui est rassurante et douce, et qu’il impose aux écrivains et traducteurs en résidence qui s’en plaignent depuis vingt ans, au point qu’un écrivain japonais avait laissé en lettre à celui qui devait le remplacer dans l’appartement du 10e étage que la ville se résumait à son port. Monsieur Deville, durant l’entretien auquel il a participé ce 16 novembre 2024 avec Rodrigo Hasbún, nous l’a répété : il ne s’intéresse pas au bord de mer (stupéfaction sur le visage de Monsieur Hasbún qui nous expliquait juste avant qu'ils l'arpentait chaque jour durant sa résidence) ; mais surtout, il a encore résumé en disant que Saint-Nazaire est tout petit et que pour lui, en dehors du Building, de la Base sous-marine, du marché et de feu le Skipper, « il n’y a rien ».

    C’est un peu court, c’est étroit, très étroit, c’est même minable surtout quand on lit attentivement « Saint-Nazaire est un roman sans fiction », où finalement, pardon Monsieur Deville, mais il n’y a pas plus de roman que d’absence de fiction, ou du moins il y a bien roman et fiction : votre vision née de votre absence de volonté d’avoir un univers plus vaste que la circulation entre deux débitants de vin blanc (sujet qui vous tient à cœur). Pour un écrivain, que l’on présente voyageur, Monsieur Deville, c’est un surprenant et déçoit le lecteur puceau ou non de votre prose.

     

    Revenons au sujet du livre. Qu’apprenons-nous de Saint-Nazaire en le lisant ? Rien en vérité, à part qu’il y avait le Skipper, qu’il y a le port, résumé à la présence de la base sous-marine, au vague souvenir de la Compagnie Transatlantique, approximatifs (notamment la destruction de la première église ; il y a une écluse pas deux dont la construction à contribué à ce que ladite église soit rasée, etc.), ou encore totalement faux comme c'est à propos de l’origine du nom «  Petit Maroc » [2], des banalités sur  des écrivains vaguement passés par Saint-Nazaire avant 1940, éléments piochés dans « Saint-Nazaire port de toutes les littératures » (comme le reste), un ouvrage collectif publié en 1992 et que personne n’a songé à corriger depuis. Je l’écris une seconde fois : Monsieur Deville n’est pas un historien ; je ne le blâmerai donc pas, mais je trouve dommageable qu’il n’ait pas fait l’effort de mieux sourcer son propose et j’ai manqué de me briser une côte de rire quand ce matin il disait devant le petit peuple des amateurs de la MEET, qu’il connaît l’histoire de Saint-Nazaire, ville où il vit depuis 50 ans. Autour de moi, les gens riaient jaune ou fronçaient les sourcils. Le livre est une commande d’éditeur, cela se sent, tout autant que le désamour/détestation de la ville.

    Durant la présentation de ce matin, beaucoup de choses fausses ont été dites, je vous avoue ne pas les avoir toutes retenues, car elles étaient lâchées au milieu d’une présentation lunaire. L’animateur posait des questions qui n’étaient pas à propos et auxquels les deux écrivains ne répondirent pas (je les comprends), chacun se racontait sans échanger avec son homologue, c’était un sketch de Laspalesse et Chevallier surtout quand il fallait lire des passages du texte de Monsieur Hasbún qui ne se retrouvait pas dans le volume publié par la MEET. Je souligne ici que Monsieur Hasbún a fait état de l’aspect mythique de Saint-Nazaire en Amérique du Sud. C’est une affirmation exacte, du Mexique à la Terre de Feu, quand j’ai dit à mes interlocuteurs locaux que je venais de Saint-Nazaire, leurs bras se sont ouverts, car Saint-Nazaire était l’un des plus importants ports d’immigration, et qu’il n’est pas une famille qui un siècle après n’ait pas en Amérique du Sud un élément de son histoire en rapport avec notre ville. Là, à son récit, il y a eu un rire mal à propos parmi la foule présente, et aucun sur la scène n’a soutenue ni expliqué l’affirmation de Monsieur Hasbún qui a poursuivi en disant que le nom de Saint-Nazaire figure dans des textes majeurs de la littérature americano-hispanique. J’avoue avoir trouvé la réaction de mes concitoyens franchement stupide, et rejoins le commentaire acide est quelque peu snob de Monsieur Deville « les Nazairiens voient les bateaux partir et ne montent pas dessus ». En effet, la petite intelligentsia locale a vraiment besoin de sortir de son trou, on en voit les effets sur ses réactions sur la médiocrité des publications.

    Au milieu de ce bouillon sans consistance, j’ai retenu les plus grosses sottises dites sur scène. Je signale donc que contrairement à ce qu’a dit Monsieur Deville ce 16 novembre, la gare ferroviaire (aujourd’hui théâtre) n’était pas la Gare transatlantique, ce sont deux entités différentes, et cette gare ferroviaire n’a pas été détruite par les bombardements, elle a été désaffectée, et en partie rasée au cours de ses nouvelles affectations  ; non, la guerre et la construction de la base sous-marine n’ont pas tué les lignes transatlantiques, c’est l’évolution des transports qui ont changé la donne, qu’ils soient ferroviaires, maritimes et surtout aériens, René Geoffroy dans L’Ouest Eclair du 10 mars 1936 se lamentait que « la navigation a cédé le pas à la construction et aux réparations » ; guerre ou pas guerre, la navigation transatlantique était vouée à disparaître, et je rectifie en précisant que le quai de la gare maritime correspond à l’allée traversante de la base, et que le sol de l’Alvéole 12, scène comprise, correspond au bassin.

     

    Autour de moi, à la fin de cet échange sans échange, les gens se plaignaient que l’heure avait été sans intérêt, étrange, dépourvue de sens.

    Personnellement, j’ai été fort amusé d’apprendre que le vieux canapé, ruine inconfortable présente depuis la création en 1987 de la MEET, a été volontairement conservé par Monsieur Deville, comme un monument placé face à un nouveau, parce que nombre d’écrivains s’y sont allongés « pour y boire un verre de vin blanc » (sujet décidément fort important pour monsieur Deville grand promoteur de nos vignobles). J’ajouterai que parmi les taches de vin, et j’écris ici en connaissance, il y a aussi des traces d’ADN de Nazairiens et Nazairiennes, qui ont contribué à ce qu’écrivains et traducteurs en résidence aient un bon souvenir de Saint-Nazaire (le service du Roi oblige). Après tout, cela vaut bien le canapé de Wagner conservé à Venise, dont on s’abstient d’expliquer aux touristes pourquoi il n’a plus ses pieds.

     

    [1] Il n’y a pas d’historien à Saint-Nazaire, la qualité d’historien ne peut en France se réclamer qu’à la suite d’une thèse, ce qu’aucun n’a fait dans notre ville depuis Marthe Barbance il y a plus de 80 ans. Mais le plus grave est que ces historiens autoproclamés n’ont pas assimilé les méthodes de recherches et vérification qui sont la base du métier et n’ont pas de vision d’ensemble du sujet, n’ayant en vérité pas les connaissances de base de l’histoire de France.

    [2] A propos du nom : http://saint-nazaire.hautetfort.com/archive/2018/07/22/le-petit-maroc-histoire-d-un-nom-6067779.html